ai assez de lettres betes a lire tous les jours! Si celle de
Mallefille se trouve encore plus bete ce jour-la que les autres jours,
il me semble qu'on me doit des remerciements pour l'avoir mise dans la
mienne et pour avoir epargne a la princesse de payer trente sons pour
une lettre bete.
Maintenant, je demande, quand on se laisse ecrire par Mallefille, de
quoi diable on a le droit de se plaindre? Quand on connait Mallefille et
son style, on doit s'attendre, a tout! Ah! sacredie! il ne me manquerait
plus que cela, de former Mallefille au style epistolaire! Je sais bien,
pour mon compte, que je trouverai toujours ses lettres ravissantes, car
j'espere bien n'en lire jamais une seule. Je l'aime de toute mon ame. Il
peut me demander la moitie de mon sang; mais qu'il ne me demande jamais
de lire une de ses lettres. Qu'il mette ma montre au mont-de-piete,
qu'il me lise un chapitre de Barchou, qu'il danse, qu'il chante, qu'il
me fasse la cour, tout ce qu'il voudra! mais, pour l'amour de Dieu,
qu'il ne m'ecrive jamais; car le lire et lui repondre, voila jusqu'ou
mon amitie ne peut s'elever.
Entre nous, je ne sais pas si Mallefille a ete maussade avec la
princesse, mais je puis vous dire qu'elle n'a pas d'ami plus sur et
plus devoue. Je puis lui dire ce qu'elle savait avant moi, c'est qu'il
n'existe pas d'etre meilleur, plus loyal et plus sincere. Eut-il ecrit
vingt lettres cent fois plus betes a Marie, elle ferait bien de les lui
pardonner en faveur de l'affection profonde qu'il lui porte; ce qui vaut
mieux que le plus beau style.
Ce pauvre garcon est tout etonne de la reponse foudroyante de la
princesse, et le voila qui s'en prend a moi et me demande pourquoi,
depuis trois mois qu'il est ici, je ne lui ai pas appris a ecrire. Merci
bien! C'est assez d'etre obligee de le nourrir, et Dieu sait a quelle
consommation cela entraine! Nous pourrions bien habiter une ile deserte
pendant vingt ans; je reponds qu'il en sortirait sans avoir recu de
moi une seule lecon de redaction. J'aimerais mieux batir une ville,
j'aimerais mieux apprendre la metaphysique, j'aimerais mieux ecouter
perorer Schoelcher que d'enseigner une chose que je fais si mal pour mon
compte et que d'avoir un ecolier doue d'aussi _heureuses_ dispositions.
Laissons Mallefille et sa lettre. Je lui declare bien que jamais je ne
lui donnerai de place dans les miennes pour lui inserer quoi que ce soit
de son cru, vers ou prose, francais ou chinois. Revenons a la vot
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