un certain M. X..., avocat sans cause, plein de
suffisance, debarque a la Chatre depuis quelques jours et s'accrochant a
tout le monde, sans s'apercevoir que tout le monde se moque de lui. Il
est venu ici pour me voir, tout tranquillement, sans ma permission et se
recommandant de Rollinat, qu'il avait connu a Chateauroux, et qui lui
avait refuse dix fois de l'amener ici.
Rollinat, ne pouvant s'en defaire, lui dit:
--Ecoutez, je crois que madame Sand dort encore. _Moi, je vais me
coucher._
--Comment, en plein midi?
--Oui, mon ami, c'est l'usage de la maison. Je vous souhaite le bonsoir.
Et il va se coucher. On vient me dire que M. X... s'obstine a me voir.
Je me cache dans les rideaux de mon lit, non sans y avoir fait un trou.
M. X... est introduit dans ma chambre. Une personne respectable l'y
recoit. Elle etait agee d'environ quarante ans, mais on aurait pu lui en
donner soixante a la rigueur. Elle avait eu de belles dents, mais elle
n'en avait plus. Tout passe! Elle avait ete assez belle; mais elle ne
l'etait plus. Tout change! Elle avait un gros ventre et les mains un peu
sales; rien n'est parfait!
Elle etait vetue d'une robe de laine grise mouchetee de noir et doublee
d'ecarlate. Un foulard etait roule negligemment autour de ses cheveux
noirs. Elle etait mal chaussee; mais elle etait pleine de dignite. Elle
semblait parfois sur le point de mettre quelques _s_ et quelques _t_
mal a propos; mais elle se reprenait avec grace, parlait de ses travaux
litteraires, de M. Rollinat, son _excellent ami_, un _homme parfait_,
des talents de M. X..., qui etaient venus jusqu'a son oreille,
quoi-qu'elle vecut _tres retiree, accablee de travail_. M. de Gevaudan
placait un tabouret sous ses pieds, les enfants l'appelaient maman, les
domestiques madame.
Elle avait un gracieux sourire et des manieres beaucoup plus distinguees
que le gamin George Sand. En un mot, X... fut heureux et fier de sa
visite. Perche sur une grande chaise, l'air radieux, le bras arrondi, le
discours abondant, le regard petillant, il resta un grand quart d'heure
en extase et se retira saluant jusqu'a terre... Sophie[1]!
A peine fut-il sorti, que, moi, jetant mes rideaux au loin, Rollinat
poussant la porte derriere laquelle il s'etait cache, sa soeur[2]
arrivant d'un autre cote, Gevaudan rentrant apres avoir reconduit le
quidam, les enfants, les domestiques, tout le monde fut pris d'un rire
inextinguible, immense, effroyable, et tel que le ciel e
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