comptez que vous serez toujours recu joyeusement. Vous
etes du petit nombre des amis inconnus qui n'ont pas fait un _fiasco_
epouvantable a mes yeux. Je vous ai trouve excellent, aussi simple de
coeur et aussi sain d'esprit que je vous avais trouve dans vos lettres.
Je n'en pourrais pas dire autant de tout le monde. Restez-moi donc frere
a tout jamais et sachez que, dans vingt jours, comme dans vingt ans,
vous me trouverez, toute devouee.
Que faites-vous? Parlez-moi un peu de vous. Reprenez-vous la vie de
bohemien? Faites-vous de jolis petits vers a Mathilde, a Clotilde,
a Bathilde, a Ermenegilde? Et votre lorgnon? Faites-lui bien mes
compliments. Et votre nez? Envoyez-m'en une demi-aune pour une vingtaine
de camards de ma connaissance.
Maurice vous adore. Solange vient d'etre assez malade. Moi, je suis
ereintee de travail. Le printemps est affreux ici. Le rossignol a
chante trois jours sous la neige. J'ai un cheval tres gentil, arrive du
Nivernais et sur lequel je fais chaque jour un temps de galop. Voila
tout ce qui est survenu de neuf dans ma vie depuis que je ne vous ai vu.
Madame d'Agoult est a Paris et va revenir ici. Ma grue a un rhume de
cerveau. J'ai apprivoise un vanneau. Colette se porte bien. Le bonnet
catalan, que vous m'avez rapporte de Marseille, a fait reculer
d'epouvante le procureur du roi. Si on me poursuit pour m'etre paree de
ce symbole, je vous compromettrai de la belle maniere. Je dirai, comme
Meunier[1], que "vous m'avez paye des petits verres pour me porter a
l'attentat".
Bonsoir, mon bon vieux _Graffiapione, Scipiocane._ J'ai mal a la tete.
Aimez-moi et ne gardez jamais rancune a ma paresse.
G. S.
[1] Fanatique qui, le 27 decembre 1836, avait attente a la vie du roi
Louis-Philippe.
CLXX
A MADAME D'AGOULT, A PARIS
Nohant, 21 avril 1837.
Chere mignonne,
Vous me pardonneriez l'effroyable retard que j'ai mis a vous ecrire, si
vous saviez ma vie depuis huit jours. Je me suis embarquee a fournir
du _Mauprat_ a Buloz au jour le jour, croyant que je finirais ou je
voudrais et que je ferais cela par-dessous la jambe. Mais le sujet m'a
emporte loin, et cette besogne m'a ennuyee, comme tout ce qui traine en
longueur. De sorte qu'au dernier moment de chaque quinzaine, depuis un
mois et demi, me voila _suant_ sur une besogne qui m'embete, que je fais
en rechignant. Je n'ai pas meme le temps de dormir et je suis sur les
dents.
Ne vo
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