st un compose de Bonjean et du pere
Janvier[2]. Si Chabin[3] venait ici, il ferait un ravage de coeurs et
serait capable de passer pour un aigle.
Moi, je passe pour vouee au diable, parce que je ne vais pas a la messe,
ni au bal, et que je vis seule au fond de ma montagne; enseignant a mes
enfants _la clef des participes_ et autres gracieusetes. Au reste, nous
sommes bien admirablement loges. Nous avons pris une cellule dans une
grande chartreuse, ruinee a moitie, mais tres commode et bien distribuee
dans la partie que nous habitons. Nous sommes plantes entre ciel et
terre. Les nuages traversent notre jardin sans se gener et les aigles
nous braillent sur la tete. De chaque cote de l'horizon, nous voyons la
mer. En face une plaine de quinze a vingt lieues; laquelle plaine nous
apercevons au bout d'un defile de montagnes d'une lieue de profondeur.
C'est un site peut-etre unique en Europe. Je suis si occupee, que j'ai
a peine le temps d'en jouir. Tous les jours, je fais travailler mes
enfants pendant six ou sept heures; et, selon ma coutume, je passe la
moitie de la nuit a travailler pour mon compte.
Maurice se porte comme le pont Neuf. Il est fort, gras, rose, ingambe.
Il pioche le jardin et l'histoire avec autant d'aisance l'un que
l'autre. Mais, mon Dieu! pendant que je me rejouis a te parler de nous
et a te dire des betises; n'es-tu pas dans le chagrin? Vous etes dans
l'hiver jusqu'au cou, vous autres! Ma pauvre Agasta n'est-elle pas
malade? Dieu veuille que ma lettre vous trouve tous bien portants et
disposes a rire!
Quand je songe combien j'aurais voulu decider Agasta a venir avec moi
ici, je vois que, d'une part, j'aurais bien fait de reussir a cause du
climat; mais, de l'autre, il y aurait eu bien des inconvenients. La vie
est dure et difficile. On ne se figure pas ce que l'absence d'industrie
met d'embarras et de privations dans les choses les plus simples. Nous
avons ete au moment de coucher dans la rue. Ensuite, l'article medecin
est soigne! Ceux de Moliere sont des Hippocrates en comparaison de
ceux-ci. La pharmacie a l'avenant. Heureusement nous n'en avons pas
besoin; car, ici, on nous donnerait de l'essence de piment pour tout
potage. Le piment est le fond de l'existence mayorquine. On en mange, on
en boit, on en plante, on en respire, on en parle, on en reve. Et ils
n'en sont pas plus gaillards pour cela! Du moins, ils n'en ont pas
l'air!
Adieu, mon Boutarin; je t'embrasse, toi, Agasta et les chers e
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