l'ai souvent!)? Quand j'ai envie de rire, a qui
veux-tu que je dise des betises qui soient appreciees?
La race humaine peut-elle jurer, comme moi, dans la colere? peut-elle
abdiquer, comme moi, jusqu'a la derniere parcelle d'intelligence, dans
la belle humeur? Toi seul, toi et Rollinat, qui ne faites qu'un pour
moi, pouvez m'aider a porter ce fardeau de moi-meme, insupportable a moi
et aux autres. Et Rollinat qui n'est pas la non plus! Il arrive du
Havre et repart pour Vienne, conduire sa soeur Juliette, qui va etre
gouvernante je ne sais dans quel pays sarmate autant qu'inconnu. Je
n'ai pas seulement pu le voir. J'arrive... Devine d'ou? De la frontiere
d'Espagne!
Ah! il s'est passe bien des choses depuis que nous nous sommes quittes.
D'abord, je m'en allais voir ma mere, qui etait tres malade, comme tu
sais. Je la trouve dans un etat deplorable, et, comme elle etait un peu
econome, livree a une misere volontaire, a cote d'une _tirelire_ pleine
d'or, je la tire de la, malgre elle. Je la soigne, je l'entoure de tout
le bien-etre possible; mais il etait trop tard. Elle avait une maladie
de foie incurable. La pauvre chere femme a ete si bonne et si tendre
pour moi au moment de mourir, que sa perte m'a cause une douleur tout a
fait excedant mes previsions.
Pendant qu'elle agonisait, j'apprends que Dudevant part pour Nohant,
afin de m'enlever Maurice. Je fais atteler en poste mon cabriolet, que
j'avais amene a Fontainebleau, et j'envoie Mallefille chercher mon fils.
Dudevant ne parait pas en Berry. C'etait une fausse alerte, une menace
en l'air. Je me rassure.
Pour reposer Maurice autant que pour surveiller mes affaires a Paris, je
passais la moitie du temps a Fontainebleau, ou nous etions enfermes
tete a tete, Maurice et moi, dans une chambre d'auberge, ne cessant de
travailler que pour faire un tour a cheval dans la foret, et l'autre
moitie a Paris, ou je ne m'amusais guere. Enfin, le 16, je prenais la
voiture a Fontainebleau avec Maurice pour revenir a Nohant, lorsque je
recois une lettre de Marie-Louise[1], qui m'annonce que mon mari est
venu enlever ma fille de force, malgre les cris dechirants de la petite,
malgre la resistance de la gouvernante, et l'a emmenee on ne sait ou.
Juge de la colere et de l'inquietude!
Je cours a Paris. Je braque le telegraphe. J'invoque la police. Je fais
rendre une ordonnance. Je cours chez les ministres, je fais le diable,
je me mets en regle, et je pars pour Nerac, ou j'arri
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