'ai eu une
fausse alerte, et j'ai envoye Mallefille [1] en poste a Nohant pour
chercher mon fils, qu'on disait enleve. Pendant que j'allais le recevoir
a Fontainebleau, ma mere a expire tout doucement et sans la moindre
souffrance. Le lendemain matin, je l'ai trouvee raide dans son lit, et
j'ai senti en embrassant son cadavre que ce qu'on dit de la force du
sang et de la voix de la nature n'est pas un reve, comme je l'avais
souvent cru dans mes jours de mecontentement.
Me voila revenue a Fontainebleau, ecrasee de fatigue et brisee d'un
chagrin auquel je ne croyais pas il y a deux mois. Vraiment le coeur est
une mine inepuisable de souffrances.
Ma pauvre mere n'est plus! Elle repose au soleil, sous de belles fleurs
ou les papillons voltigent sans songer a la mort. J'ai ete si frappee
de la gaiete de cette tombe, au cimetiere Montmartre, par un temps
magnifique, que je me suis demande pourquoi mes larmes y coulaient si
abondamment. Vraiment, nous ne savons rien de ce mystere. Pourquoi
pleurer, et comment ne pas pleurer? Toutes ces emotions instinctives,
qui ont leur cause hors de notre raison et de notre volonte, veulent
dire quelque chose certainement; mais quoi?
Maurice se plait beaucoup ici. Nous montons a cheval tous les jours et
nous allons faire des collections de fleurs et de papillons dans les
deserts de la foret. C'est vraiment un pays adorable, une petite Suisse
dont les Parisiens ne se doutent pas, et qui a le grand avantage de
n'attirer personne. Je suis ici tout a fait inconnue, sous un faux nom
et travaillant a force.
Adieu, chere; prions pour que les chemins de fer prosperent et que nous
puissions aller faire une invasion a l'_isola Madre_, moyennant huit
jours de loisir et peu d'argent. Le temps et l'argent! Le temps a cause
de l'argent, l'argent a cause du temps. Quelles entraves! Et le temps
d'etre heureux? Et le moyen de l'etre? Ou cela se peche-t-il? Dans le
lac Majeur?
Ecrivez-moi, mon amie; parlez-moi de vous et aimez-moi comme je vous
aime.
[1] Felicien Mallefille, auteur dramatique, plus tard consul de
France a Lisbonne.
CLXXVIII
A M. DUTEIL, A PERIGUEUX
Nohant, 30 septembre 1837.
Mon Boutarin,
Que deviens-tu? Quand reviens-tu? Crois-tu que je puisse vivre sans toi
longtemps? Illusion, mon aimable ami! Je crie comme un aigle, depuis que
je suis privee de toi. Que veux-tu que je devienne quand j'ai le spleen
(et Dieu sait si je
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