Enfantin et Saint-Simon eussent en une grande place dans l'histoire
de la morale, a cote de celle que Lafayette occupe dans l'histoire
politique.
Mais tout cela est _fichu_. Vous etes tombes dans un systeme de
transaction mysterieuse auquel on ne comprend plus rien. Vous semblez
presses de vous faire oublier en France et d'obtenir le pardon du bien
que vous avez tente. Vous parlez de regenerer des peuples qui n'existent
pas encore. En fait, vous vivez par la grace de Louis-Philippe. Et
_vous?_ vous voila redacteur des _Debats_, ni plus ni moins que mon ami
Janin.
Taisez-vous, relaps! vous feriez mieux de monter une boutique de
savetier et de ressemeler de vieilles bottes. Voyez a quelles
concessions vous etes oblige de descendre pour faire avaler a M. Bertin
l'emission de vos idees sur le despotisme de Mohammed-Ali!
En verite, le juste milieu ne s'embarrasse guere des liberaux des bords
du Nil, pourvu qu'en leur faisant des compliments, vous otiez votre
chapeau bien bas devant la _poire royale_. C'est ce que vous faites.
Vous dites: "En 1830, la France a mis la derniere main a son systeme
de liberte; _la liberte humaine, la dignite de l'individu ont ete
constituees d'une maniere desormais indestructible_, etc.!" et mille
autres blasphemes qui feraient jurer Michel comme un possede, et qui, a
moi, me font peine.
Certainement, si vous raisonnez comme Thiers et Guizot; si la liberte
est pour vous compatible avec la monarchie; si la dignite humaine,
sans l'egalite, vous parait admissible; si vous appelez _abolition des
distinctions sociales_ le principe qui serre comme un etau, dans le
coeur de l'homme, l'amour de la propriete, l'egoisme, l'oubli complet du
pauvre, qui erige en vertu l'ordre public, c'est-a-dire le droit de tuer
quiconque demande du pain d'une voix forte et avec l'autorite de la
justice naturelle de la faim; certes, si vous acceptez tout cela, vous
raisonnez _bien_ et je n'ai pas le plus petit mot a dire.
Mais, s'il vous reste, du saint-simonisme, au moins la religion du
principe fondamental: _la loi du partage et de l'egalite_, comment
pouvez-vous faire ces concessions, meme avec de bonnes intentions, a un
etat de choses odieux? Et c'est le lendemain des lois execrables qui
enterrent toute liberte, toute dignite humaine pour dix ans, pour vingt
ans peut-etre, que vous emettez ce beau principe: _La France est libre,
heureuse, honorable; il n'y a plus rien a lui souhaiter. Tachons de
penser aux
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