orce et d'ardeur depuis qu'il n'a plus le bonheur de porter
la princesse. La douleur de son depart l'a jete dans une telle
exasperation, qu'il desarconne tous ses cavaliers.
A propos de _Bignat_, j'ai fait a Mallefille, de votre part, les plus
serieux reproches. Il s'accuse grandement et vous ecrira demain. Par ces
details, vous pourrez voir, chers Fellows, que mon interieur n'a rien
de bien interessant a offrir a votre attention. Il est paisible et
laborieux. J'entasse romans sur nouvelles et Buloz sur Bonnaire;
Mallefille entasse drames sur romans, Pelion sur Ossa; Mercier, tableaux
sur tableaux; Tempete[2], betises sur betises; Maurice, caricatures sur
caricatures, et Solange, cuisses de poulet sur fausses notes. Voila la
vie heroique et fantastique qu'on mene a Nohant.
Nous n'avons ni _lago di Como_, ni Barchou, ni jeunes filles chantant la
_polenta_, ni sublimes accords du maestro, ni cathedrale de Milan, ni
princesse, ni deesse; mais nous avons la meche de Rollinat, les refrains
rococo de Boutarin[3], le nez du Gaulois[4], les sabots du Malgache[5],
le souvenir de Lasnier, les lettres de maitre Emmanuel[6], l'avocat, et
la barbe de Mallefille, qui a sept pieds de long. Tout cela fait une
jolie constellation.
[1] Mercier, statuaire, l'auteur du medaillon de George Sand.
[2] Mademoiselle Rollinat.
[3] Duteil.
[4] Fleury.
[5] J. Neraud.
[6] Arago.
CLXXXII
AU MAJOR ADOLPHE PICTET, A GENEVE
Paris, octobre 1838.
Cher major,
Votre conte[1] est un petit chef-d'oeuvre. Je ne sais pas si c'est parce
que nulle part je ne me suis sentie aussi finement tancee et aussi
affectueusement comprise; mais nulle part il ne me semble avoir ete
jugee avec tant de sagesse et louee avec tant de charme.
Hoffmann n'aurait pas desavoue la partie poetique de ce conte, et, quant
a la partie philosophique, il ne se fut jamais eleve si haut avec tant
de clarte et de veritable eloquence. Je vous jure que jamais rien ne m'a
fait plaisir dans ma vie en fait de louanges. Cela tenait non point a
ma modestie (car je viens de decouvrir, grace a vous, que j'en manque
beaucoup), mais aux eloges recus, toujours ou grossierement boursoufles
ou abominablement stupides. Pour la premiere fois je respire cet encens
auquel les dieux memes, dit-on, ne sont pas insensibles.
Je crois a ce qu'il y a de bon en moi, parce que vous me le montrez,
pour ainsi dire, paternellement, et, quant a ce
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