ree pour tout le mois d'avril.
Les jours de mistral, nous nous entourons de paravents (car le vent
coulis est ici souverainement installe dans toutes les chambres) et nous
travaillons, chacun a sa besogne. Aussitot que le soleil luit, nous
allons a la promenade entre deux murailles et enveloppes d'un nuage de
poussiere. Cependant nous arrivons a quelque beau point de vue et nous
respirons. Vous voyez que notre existence est d'une innocence et d'une
simplicite primitives.
Au mois de mai, nous serons a Nohant, et, si vous etes gentille, vous
tiendrez votre promesse d'y venir au-devant de nous. Nous retournerions
tous ensemble a Paris, au commencement de juin. Si Marliani etait
de retour de ses grandes courses, cela lui ferait un grand bien, de
respirer a Nohant. Il aime la campagne, lui, et je lui tiendrais tete
pour les plaisirs champetres, tandis que vous philosopheriez au piano
avec Chopin.--Il ne s'amuse guere a Marseille; mais il se resigne a
guerir patiemment.
Dites a Buloz de se consoler! Je lui fais une espece de roman _dans
son gout_; il le recevra en meme temps que le _Mickieiwiez_ et pourra
l'imprimer auparavant. Mais il faudra qu'il paye l'un et l'autre
comptant, et qu'avant tout il fasse paraitre _la Lyre_[1].
Au reste, ne vous effrayez pas du roman _au gout_ de Buloz, j'y mettrai
plus de philosophie qu'il n'en pourra comprendre. Il n'y verra que du
feu, la forme lui fera avaler le fond.
Ecrivez-moi souvent, chere; vos lettres me donnent un peu de vie. Ici,
pour peu que je mette le nez a la fenetre sur la rue et sur le port, je
me sens devenir pain de sucre, caisse de savon, ou paquet de chandelles.
[1] _Les Sept Cordes de la lyre_.
CXCIII
A LA MEME
Marseille, 28 avril 1839.
Il y a bien longtemps que je n'ai recu de vos nouvelles, ma cherie; je
ne suis pas habituee a cela, et j'en suis vraiment inquiete. Auriez-vous
fait comme moi? seriez-vous malade?
J'ai vu avant-hier madame Nourrit[1], avec ses six enfants, et le
septieme pres de venir... Pauvre malheureuse femme! quel retour en
France! accompagnant ce cadavre, qu'elle s'occupe elle-meme de faire
charger, voiturer, deballer comme un paquet! Elle m'a semble avoir le
courage stoique des grandes douleurs; pas de larmes, peu de paroles, et
des mots profonds. Elle est belle encore, tres brune, mais terriblement
fatiguee par tant de couches, tant de souffrances, et un si epouvantable
malheur. Ses
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