ve un beau matin,
apres trois jours et trois nuits de chaise de poste, accompagnee de
Mallefille, d'un domestique et d'un clerc de Genestal. Je tombe chez le
sous-prefet, le baron Haussmann, beau-frere d'Artaud et, de plus, un
charmant garcon. Le procureur du roi me donne, en faisant un peu la
grimace, un requisitoire. L'officier de gendarmerie, plus humain,
consent a m'accompagner avec son marechal-de-logis et deux adorables
simples gendarmes. Je demande un huissier pour faire sommation d'ouvrir
les portes en cas de resistance.
Au moment de partir, une difficulte se presente. Il faudra le maire de
Pompiey pour cette ouverture des portes. Or ledit maire ne se rendra
pas a nos reclamations, vu qu'il est ami de Dudevant. Je cajole le
sous-prefet, et le sous-prefet, attendri, monte dans ma voiture avec
moi, le lieutenant de gendarmerie, l'huissier, etc., le reste a cheval.
Juge quelle escorte! quelle sortie de Nerac! quel etonnement! La ville
et les faubourgs sont sur pied. Deux malheureuses caleches de poste,
qui se trouvaient par la et s'en allaient tranquillement aux eaux des
Pyrenees, ont l'air d'etre mes voitures de suite. Quant a moi, je suis
une princesse espagnole et j'accomplis je ne sais quelle revolution..
De longtemps, Nerac ne verra ses habitants aussi bouleverses, aussi
abimes dans leurs commentaires, aussi devores d'inquietude et de
curiosite. Enfin, nous arrivons a Guillery. Mon mari etait deja prevenu;
deja les apprets de sa fuite etaient faits. Mais on cerne la maison; les
recors procedent, et Dudevant, devenu doux et poli, amene Solange par
la main jusqu'au seuil de sa royale demeure, apres m'avoir offert d'y
entrer: ce que je refuse _gracieusement_. Solange a ete mise dans mes
mains comme une princesse a la limite des deux Etats. Nous avons echange
quelques mots agreables, le baron et moi. Il m'a menace de reprendre son
fils par autorite de justice, et nous nous sommes quittes charmes l'un
de l'autre. Proces-verbal a ete dresse sur le lieu. Revenus a Nerac,
nous avons passe la journee a la sous-prefecture, ou l'on a ete charmant
pour nous.
Le lendemain, la fureur m'a prise d'aller revoir les Pyrenees. J'ai
renvoye mon escorte et j'ai ete avec Solange jusqu'au Marboree,
l'extreme frontiere de France. La neige et le brouillard, la pluie et
les torrents ne nous ont laisse voir qu'a demi le but de notre voyage,
un des sites les plus sauvages qu'il y ait dans le monde. Nous avons
fait ce jour-la quinze
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