s j'ai fait un
grand effort pour lui dire que j'aurais beaucoup de plaisir a l'avoir
pres de moi, et quand je me suis trouvee seule, j'ai senti que
j'eprouvais tous les tourments de la jalousie. Je ne croyais certes pas
que Jacques fut amoureux de cette femme et qu'il voulut l'amener dans
notre maison pour en faire de nouveau sa maitresse. Jacques est trop
noble, trop delicat pour cela; mais je craignais que cette amitie si
vive entre lui et cette jeune femme n'eut commence par quelque autre
sentiment. Il ne s'y sera pas abandonne, pensais-je; la raison et
l'honneur auront vaincu cette tendresse trop vive pour sa protegee; mais
il aura souvent ete emu pres d'elle; il n'aura pas vu impunement tant de
beaute, d'esprit et de talents; il aura peut-etre songe plus d'une
fois a en faire sa femme, et il lui sera reste au moins pour elle cet
indefinissable sentiment qu'on doit avoir pour l'objet d'un ancien
amour. Jacques est si etrange quelquefois! Peut-etre qu'il veut la
placer entre nous comme conciliatrice au milieu de nos chagrins;
peut-etre qu'il me la proposera pour modele, ou qu'au moins, comme elle
sera beaucoup plus parfaite que moi, il fera malgre lui, quand j'aurai
quelque tort, des comparaisons entre elle et moi qui ne seront point a
mon avantage. Cette idee me remplissait de douleur et de colere; je ne
sais pourquoi j'eprouvais un besoin invincible de questionner encore
Jacques, mais je ne l'osais pas, et je craignais qu'il ne devinat mes
soupcons. Enfin, vers le soir, comme nous causions assez gaiement de
choses generales qui pouvaient avoir un rapport eloigne avec notre
position, je pris courage, et, feignant de plaisanter, je lui demandai
presque clairement ce que je desirais savoir. Il resta quelques instants
silencieux; j'observai son visage, et il me fut impossible d'en
interpreter l'expression. Jacques est souvent ainsi, et je defie qui
que ce soit de savoir s'il est calme ou mecontent dans ces moments-la.
Enfin, il me tendit la main, en me disant d'un air grave: "Est-ce que tu
me croirais capable d'une lachete?--Non, m'ecriai-je vivement en portant
sa main a mes levres.--Mais d'une trahison? ajouta-t-il.--Non, non,
jamais.--Mais de quoi donc alors? car tu m'as soupconne de quelque
chose, ajouta-t-il en me regardant avec cet air de penetration auquel je
ne saurais resister.--Eh bien, oui, repondis-je avec embarras, je t'ai
accuse d'imprudence.--Explique-toi, dit-il.--Non, repondis-je; fais-moi
un serment, et
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