asseroit au
debarquement des nouveaux venus. On aura peut-etre de la peine a le
croire; mais il est vrai que dans le grand nombre de vaisseaux qui
arriverent au port, a peine se trouva-t-il un armateur qui meritat
quelque recompense. Les uns n'avoient fait que suivre la route deja
tracee par ceux qui les avoient precedes, sans oser en tenter une
nouvelle. Les autres avoient cause une confusion effroyable dans
leur equipage, par la trop grande quantite de monde qu'ils avoient
prise sur leur vaisseau. D'autres n'avoient mene leurs passagers que
dans des pays incultes et arides, ou ils avoient beaucoup souffert
de la disette et de l'ennuy. Quelques-uns avoient mis a bout la
patience et le courage de leurs gens, par une trop longue suite de
facheuses avantures; quelques autres ne les avoient occupes que de
choses pueriles et extravagantes, de sorte qu'apres avoir entendu
leur relation, le conseil loin de leur donner aucune recompense,
delibera s'ils ne meritoient pas plutot d'etre punis, pour avoir
inutilement tant perdu de tems, et en avoir tant fait perdre aux
autres. Mais il fut conclu a la pluralite des voix, que le peu de
consideration et l'oubli dans lequel ils seroient condamnes a vivre
le reste de leurs jours, leur tiendroit lieu de punition.
Un armateur nomme L D F essuya dans cette occasion un assez grand
proces. Son heroine dont le nom m'est echappe, se plaignit amerement
au conseil, que sans aucun egard aux bienseances de son sexe, il
l'avoit fait courir pendant un tems infini toujours habillee en
homme, sans lui avoir voulu permettre de prendre des habits de
femme, qu'au moment qu'elle arrivoit au port; ajoutant que son
armateur sans necessite et par pure mechancete, avoit abuse de ce
deguisement ridicule, tantot pour l'obliger a se battre contre des
cavaliers, tantot pour la mettre dans des situations tout-a-fait
indecentes, et pour la conduire dans les lieux les plus suspects, ou
elle avoit vu mille fois son honneur en peril. La plainte de
l'heroine parut d'abord si juste et si bien fondee, qu'elle revolta
tous les esprits contre l'armateur; et il alloit etre condamne tout
d'une voix, lorsqu'un des plus anciens conseillers prit sa defense.
Il representa au conseil qu'a considerer les choses en elles-memes,
il etoit vrai que L D F meritoit punition, pour avoir fait faire a
une honnete heroine un voyage si dangereux et si peu decent; mais
que ces deguisemens, tout dangereux et tout indecens qu'ils etoient,
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