et s'entortillerent
mutuellement, sans pouvoir se relever, tandis que d'Assoucy se hatait de
gagner le large.
--O le traitre! o le felon! se mit a crier le Savoyard, attribuant
aussitot sa culbute a son page, qu'il soupconnait d'avoir pris la fuite;
a l'aide! au secours! bonnes gens, arretez-le, ramenez-le-moi, je vous
prie! Il court a belles jambes de ce cote, vous le reconnaitrez a son
habit de perroquet. C'est un larron, c'est lui qui a vole le cotignac!
C'est lui qui volait le produit de mon travail! Nous le ferons pendre au
son de ma musique.
D'Assoucy, qui s'eloignait en tapinois, apres avoir fait choir son
maudit aveugle, fut frappe de terreur, quand il l'entendit se dechainer
ainsi en ameres recriminations: le vol de cotignac, qu'on lui reprochait
a haute voix, vint se representer vivement a son esprit, et il se
persuada que plus d'un passant en avait ete temoin. Il s'imagina
aussitot que tous les regards, que tous les sourires le designaient
comme le voleur de cotignac: sa vue s'obscurcit, ses membres
tremblerent, ses idees s'egarerent, ses jambes se deroberent sous lui:
il faillit se livrer lui-meme, faute de pouvoir s'enfuir.
Il errait sur le pont, d'un bord a l'autre, sans savoir quelle route
tenir, ni quel parti prendre; il croyait voir partout des mains
s'etendre vers lui pour le happer, et il eut beau marcher en tous sens,
le Cheval de bronze avait l'air de le poursuivre toujours; enfin les
cris de l'aveugle se rapprocherent, repetes de bouche en bouche, et le
cotignac devenait pour le voleur un spectre menacant. Effare, haletant,
il s'arreta devant la Samaritaine et se glissa, par un passage noir qui
s'offrait a lui, dans un escalier en limacon, qu'il descendit en larges
enjambees, sans s'inquieter de savoir ou il etait et ou il allait,
pourvu qu'il echappat aux regards de mille spectateurs. Peu s'en fallut
qu'apres une annee d'intervalle il eut une indigestion de cotignac.
Enfin il respira, en se trouvant dans un lieu voute, obscur et
solitaire, qui ressemblait a une cave, et il esperait n'avoir plus rien
a redouter, lorsque le bruit d'une porte qu'on fermait, en haut de
l'escalier, a doubles verroux et a triples serrures, lui apprit qu'il
etait prisonnier. Alors il craignit de n'avoir echappe a un peril, que
pour tomber dans un pire. Allait-il etre condamne a mourir de faim dans
un horrible cachot? Il regretta de n'avoir pas ete ressaisi par le
Savoyard, fut-il a demi mort entre les mains de ce
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