vous.
Ils recommencerent a se regarder, immobiles, joints l'un a l'autre
par le contact brulant de leurs chairs. Elle serrait, par petites
secousses, cette main fievreuse qu'elle tenait, et il repondait a ces
appels en fermant un peu les doigts. Chacune de ces pressions leur
disait quelque chose, evoquait une parcelle de leur passe fini,
remuait dans leur memoire les souvenirs stagnants de leur tendresse.
Chacune d'elles etait une question secrete, chacune d'elles etait une
reponse mysterieuse, tristes questions et tristes reponses, ces "vous
en souvient-il?" d'un vieil amour.
Leurs esprits, en ce rendez-vous d'agonie, qui serait peut-etre le
dernier, remontaient a travers les ans toute l'histoire de leur
passion; et on n'entendait plus dans la chambre que le crepitement du
feu.
Il dit tout a coup, comme au sortir d'un reve, avec un sursaut de
terreur:
--Vos lettres!
Elle demanda:
--Quoi? mes lettres?
--J'aurais pu mourir sans les avoir detruites.
Elle s'ecria:
--Eh! que m'importe. Il s'agit bien de cela. Qu'on les trouve et qu'on
les lise, je m'en moque!
Il repondit:
--Moi, je ni veux pas. Levez-vous, Any. Ouvrez le tiroir du bas de mon
secretaire, le grand, elles y sont toutes, toutes. Il faut les prendre
et les jeter au feu.
Elle ne bougeait point et restait crispee, comme s'il lui eut
conseille une lachete.
Il reprit:
--Any, je vous en supplie. Si vous ne le faites pas, vous allez me
tourmenter, m'enerver, m'affoler. Songez qu'elles tomberaient entre
les mains de n'importe qui, d'un notaire, d'un domestique ... ou meme
de votre mari ... Je ne veux pas ...
Elle se leva, hesitant encore et repetant:
--Non, c'est trop dur, c'est trop cruel. Il me semble que vous allez
me faire bruler nos deux coeurs.
Il suppliait, le visage decompose par l'angoisse.
Le voyant souffrir ainsi, elle se resigna, et marcha vers le meuble.
En ouvrant le tiroir, elle l'apercut plein jusqu'aux bords d'une
couche epaisse de lettres entassees les unes sur les autres; et elle
reconnut sur toutes les enveloppes les deux lignes de l'adresse
qu'elle avait si souvent ecrites. Elle les savait, ces deux lignes--un
nom d'homme, un nom de rue--autant que son propre nom, autant qu'on
peut savoir les quelques mots qui vous ont represente dans la vie
toute l'esperance et tout le bonheur. Elle regardait cela, ces petites
choses carrees qui contenaient tout ce qu'elle avait su dire de son
amour, tout ce qu'elle av
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