Paris, lundi soir, 6 mars 1848.
Mon ami,
Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie
publique nous appelle et nous absorbe. La Republique est la meilleure
des familles, le peuple est le meilleur des amis. Il ne faut pas songer
a autre chose.
La Republique est sauvee a Paris; il s'agit de la sauver en province,
ou sa cause n'est pas gagnee. Ce n'est pas moi qui ai fait faire ta
nomination: mais c'est moi qui l'ai confirmee; car le ministre m'a
rendue en quelque sorte responsable de la conduite de mes amis, et
il m'a donne plein pouvoir pour les encourager, les stimuler, et les
rassurer contre toute intrigue de la part de leurs ennemis, contre toute
faiblesse de la part du gouvernement. Agis donc avec vigueur, mon cher
frere. Dans une situation comme celle ou nous sommes, il ne faut pas
seulement du devouement et de la loyaute, il faut du fanatisme au
besoin. Il faut s'elever, au-dessus de soi-meme, abjurer toute
faiblesse, briser ses propres affections si elles contrarient la
marche d'un pouvoir elu par le peuple et reellement, _foncierement_
revolutionnaire. Ne t'apitoie pas sur le sort de Michel: Michel est
riche, il est ce qu'il a souhaite, ce qu'il a choisi d'etre. Il nous a
trahis, abandonnes, dans les mauvais jours. A present, son orgueil,
son esprit de domination se reveillent. Il faudra qu'il donne a la
Republique des gages certains de son devouement s'il veut qu'elle lui
donne sa confiance. La deputation est un honneur qu'il peut briguer et
que son talent lui assure peut-etre. C'est la qu'il montrera ce qu'il
est, ce qu'il pense aujourd'hui. Il le montrera a la nation entiere. Les
nations sont genereuses et pardonnent a ceux qui reviennent de leurs
erreurs.
Quant au devoir d'un gouvernement provisoire, il consiste a choisir
des hommes _surs_ pour lancer l'election dans une voie republicaine
et sincere. Que l'amitie fasse donc silence, et n'influence pas
imprudemment l'opinion en faveur d'un homme qui est assez fort pour se
relever lui-meme si son coeur est pur et sa volonte droite.
Je ne saurais trop te recommander de ne pas hesiter a balayer tout ce
qui a l'esprit bourgeois. Plus tard, la nation, maitresse de sa marche,
usera d'indulgence si elle le juge a propos, et elle fera bien si elle
prouve sa force par la douceur. Mais, aujourd'hui, si elle songe a ses
amis plus qu'a son devoir, elle est perdue, et les hommes employes par
elle a son debut auront c
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