8.
Mon enfant,
Nous sommes bien inquiets ici, comme tu peux croire. Nous savons
seulement ce soir que la journee de mardi a ete agitee et que celle
d'aujourd'hui a du l'etre encore davantage. Il faut que tu reviennes
tout de suite; non pas que je me livre a de pueriles frayeurs, ni que je
veuille te les faire partager, quand meme je les eprouverais.
Tu sais bien que je ne te donnerais pas un conseil de couardise. Mais
ta place est ici, s'il y a des troubles serieux. Une revolution a Paris
aurait son contrecoup immediat dans les provinces, et surtout ici, ou
les nouvelles arrivent en quelques heures. Tu as donc des devoirs a
remplir dans ton domicile et ton absence ne serait pas excusable. Je ne
te parle pas de moi: je ne crois a aucun danger personnel et ne suis
d'ailleurs pas du tout disposee a m'en preoccuper. Mais, si j'avais a
agir et a me prononcer pour quoi que ce soit, tu es mon representant
naturel. Viens donc tout de suite, a moins que tu ne voies la
tranquillite absolument retablie. Laisse a Lambert le soin de nos
affaires a Paris. Tu y retourneras d'ailleurs dans quelques jours, quand
nous aurons vu l'etat des choses.
Bonsoir, mon enfant; je t'attends. J'espere un mot de toi demain matin.
Si la poste n'arrive pas, c'est que l'affaire aura ete serieuse. Mais tu
n'as la, je le repete, aucun devoir a remplir, et, ici, tu peux en avoir
auxquels il ne faut pas manquer.
Je t'embrasse mille fois.
Ta mere.
CCLXVI
AU MEME
Nohant, 24 fevrier 1848.
Mon enfant,
Ta lettre de mardi, recue ce matin jeudi, m'a fait grand bien. Dieu
veuille que j'en recoive encore une demain matin; car on nous a annonce
la journee de mercredi comme devant etre grave, et mes inquietudes ne
sont calmees que pour renaitre. Je vois que tu cours et que tu flanes,
je m'y attendais bien; mais, au moins, puisses-tu etre prudent et adroit
pour echapper aux chocs de ce grand ebranlement. Si tout est fini,
reste a Paris pour achever tes affaires. Mais, si l'agitation continue,
conforme-toi a ma lettre d'hier.
Rollinat est ici jusqu'a dimanche, et nous parlons sans cesse de Paris
et de toi. Borie se leve a huit heures du matin, et court a la Chatre
pour me rapporter tes lettres. Bonjour au petit Lambert; qu'il soit
prudent pour lui et pour toi. Bonsoir, mon cher enfant. Je suis inquiete
et je t'aime. Je voudrais etre a demain.
Ta mere.
CCLXVII
A M. GIRERD, A NEVERS
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