tait qu'ivre, ce ne serait pas si
inquietant[102]."
[Note 102. Cette chanson ainsi annotee par G. Sand, n'a pas ete
retrouvee, que je sache, dans les papiers de Musset. Remarquons, en
passant, que le poete, parle, dans sa _dictee_, d'une lettre ecrite _a
l'encre_ et non au crayon...]
Il eprouvait un insurmontable besoin de relever ses forces par des
excitants, et deux ou trois fois, malgre toutes les precautions, il
reussit a boire en s'echappant, sous pretexte de promenade en gondole.
Chaque fois, il eut des crises epouvantables, et il ne fallait pas en
parler au medecin devant lui, car il s'emportait serieusement contre
ces revelations. Comme lui-meme craignait pour sa raison, il n'est pas
etonnant non plus qu'_elle_ ne voulut pas lui montrer cette phrase:
"_Temo molto per la sua ragione_" et, comme pour lui oter des soupcons
qui, par moment, l'exasperaient, _elle_ n'osait plus parler de _lui_,
a part, au medecin, c'est bien souvent sur des bouts de papier,
glisses furtivement, qu'_elle_ put lui rendre compte des crises dont
il fallait qu'il fut informe.
Plus tard, _elle_ consentit, a Paris, a _lui_ remettre cette _fameuse
lettre. Elle_ eut tort; _elle_ le croyait tres calme et tres gueri
dans ce moment-la; il fut d'abord tres reconnaissant et tres console;
mais son imagination, que les boissons excitantes ramenerent bientot
aux acces de delire, travailla enormement cette phrase: "_Temo molto
per la sua ragione_." Il en parla peut-etre a son frere: de la,
l'epouvantable et infame accusation de l'avoir menace, a Venise, de
la _Maison des fous_. Mais jamais une si meprisable idee ne lui est
venue, a _lui!_ Il etait fantasque, injuste, fou reellement dans
l'ivresse, mais jamais calomniateur de sang froid...
Apres lecture de ce morceau, est-il permis de trouver au moins
singulier, chez George Sand, cet obsedant besoin de se justifier, quand
on connait sa lettre,--evidemment anterieure a la scene evoquee,--sa
lettre au docteur Pagello? Pouvait-elle esperer qu'elle resterait a
jamais medite?--A moins d'admettre que cette nuit-la, precisement, elle
n'ecrivit a son amant nouveau--rien dont put s'offenser son amant de la
veille?... N'empeche qu'avec l'intimite que nous avons surprise entre
elle et Pagello, l'obligation qu'elle s'imposera plus tard de demontrer
son erreur a Musset denote chez elle un instinct de dissimulation du
plus obstine feminisme.
Il n'en est pas moi
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