6.]
Quand George Sand adressait a Alfred Tattet ce beau discours resigne,
elle s'etait donnee a Pagello... Avec la sante lentement revenue, Musset
avait trouve la solitude. Et sans oser encore se convaincre de l'abandon
de son amie, il pleurait ce qu'on lui demontrait avoir ete sa faute
impardonnable:
Il faudra bien t'y faire, a cette solitude,
Pauvre coeur insense, tout pret a se rouvrir,
Qui sais si mal aimer et sais si bien souffrir.
Il faudra bien t'y faire, et sois sur que l'etude,
La veille et le travail, ne pourront te guerir.
Tu vas, pendant longtemps, faire un metier bien rude,
Toi, pauvre enfant gate, qui n'as pas l'habitude
D'attendre vainement et sans rien voir venir.
Et pourtant, o mon coeur, quand tu l'auras perdue,
Si lu vas quelque part attendre sa venue,
Sur la plage deserte en vain tu l'attendras,
Car c'est toi qu'elle fuit de contree en contree,
Cherchant sur cette terre une tombe ignoree
Dans quelque triste lieu qu'on ne te dira pas[107]...
Voici qu'approchait l'heure de son retour en
France. Apres les orages probables qui l'assombrirent
pour toujours, le pauvre enfant faisait
un cruel retour au passe et sa faiblesse s'exhalait
dans cette plainte douloureuse[108]:
Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus,
De tout ce que mon coeur renfermait de tendresse,
Quand dans la nuit profonde, o ma belle maitresse,
Je venais en pleurant tomber dans tes bras nus!
La memoire en est morte, un jour te l'a ravie,
Et cet amour si doux qui faisait sur la vie
Glisser dans un baiser nos deux coeurs confondus,
Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus!
[Note 107, 108: Vers publies par la _Revue de Paris_ du 1er nov. 1896.]
On ne sait presque rien des derniers jours de Musset a Venise. Le 22
mars, George Sand devait partir avec lui,--sa lettre a Alfred Tattet en
fait foi;--le 28 il part seul. "Les troisieme, quatrieme et cinquieme
chapitres de la _Confession d'un enfant du siecle_ donnent une idee
de ce qui a du se passer durant ces quelques jours, a dit M. Maurice
Clouard. Musset, apparemment, crut faire acte de grandeur d'ame et
de generosite en partant seul, laissant George Sand, en compagnie de
Pagello[109]." J'estime, au contraire, que cette derniere semaine fut
lamentable pour Musset. La jalousie torturait le malheureux, depuis sa
vision de l'hotel Danieli. Il n'avait pu prendre son parti de l'accord
qu'avait ratifie sa f
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