aisers et le placai sur une armoire qui faisait face au
petit lit; ainsi je pouvais le voir toujours. Et je restai longtemps a
le contempler. Je me sentis renouvele; un courage spontane secourut mon
ame abattue et une voix sembla me dire: "Tu retourneras dans ta patrie
et tu y passeras des jours honores et tranquilles; ta conduite a venir
tirera des enseignements de tes erreurs passees; garde toujours dans ton
esprit les principes que ta mere t'a fait sucer avec le lait;--toutes
les joies terrestres qui iront contre ces preceptes te rendront
malheureux."
J'entendis frapper doucement a la porte de ma chambre; j'ouvris...
C'etait George Sand avec M. Boucoiran, qui venaient me chercher pour
me mener diner comme nous en etions convenus. Cette visite m'arracha
aprement a une tranquille joie de l'esprit, et j'en fus presque
degoute. Je me ressaisis et je sortis avec eux. J'allai donc diner
chez George Sand qui m'offrait la plus gentille hospitalite. Elle me
proposa comme ami, presque comme frere, a M. Boucoiran. Elle voulait
partir avec ses deux petits enfants pour la Chatre, le jour suivant,
et moi j'avais manifeste la ferme volonte de ne pas la suivre. La Sand
voyait toute la singularite de ma position, tous les sacrifices que
j'avais faits a son amour: ma clientele perdue, mes parents quittes et
moi exile sans fortune, sans appui, sans esperance. Elle me regardait
fixement bien en face, stupefaite de me voir tranquille et presque
serieux. Le colloque spirituel que je venais d'avoir avec ma mere
m'avait rendu une paix que je ne connaissais plus depuis longtemps.
Cette femme a l'oeil de lynx epiait mon coeur; mais elle en avait
perdu le secret. Au milieu meme de ses egarements tous consecutifs
d'un premier faux pas, elle gardait un coeur de femme tendre,
compatissant, industrieux pour les malheureux et intrepide pour le
sacrifice...
Donc, a peine arrivee, presque indifferente soudain pour l'infortune
Pagello, George Sand revoit le poete. Et tous deux sont repris par leur
ancien amour. La presence de l'Italien, la facheuse rumeur du monde ne
troublent pas cette premiere ivresse. Mais voici qu'en se retrouvant ils
ont retrouve l'amertume. Quinze jours fievreux et cruels, quinze jours
seulement s'ecoulent. Le sentiment de l'irreparable a surgi, poignant,
chez Musset. Il souffre trop, veut partir.
... J'ai trop compte sur moi en voulant te revoir et j'ai recu le
dernier coup.
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