ais par coeur, une romance cent fois
rebattue, un entretien avec un ami me surprenaient; je n'y
retrouvais plus le sens accoutume. Je compris alors ce que c'est que
l'experience, et je vis que la douleur nous apprend la verite.
"Ce fut un beau moment dans ma vie, et je m'y arrete avec plaisir:
oui, ce fut un beau et rude moment. Je ne vous ai pas raconte les
details de ma passion. Cette histoire-la, si je l'ecrivais, en
vaudrait pourtant bien une autre, mais a quoi bon? Ma maitresse etait
brune; elle avait de grands yeux; je l'aimais, elle m'avait quitte;
j'en avais souffert et pleure pendant quatre mois; n'est-ce pas en
dire assez?
"Je m'etais apercu tout de suite du changement qui s'etait fait en
moi, mais il etait bien loin d'etre accompli. On ne devient pas homme
en un jour. Je commencai par me jeter dans une exaltation ridicule.
J'ecrivis des lettres a la facon de Rousseau,--je ne veux pas vous
dissequer cela.--Mon esprit mobile et curieux tremble incessamment
comme la boussole, mais qu'importe si le pole est trouve? J'avais
longtemps reve; je me mis enfin a penser. Je tachai de me taire le
plus possible. Je retournai dans le monde; il me fallait tout revoir
et tout rapprendre...."
George est restee quinze jours sans repondre a Alfred. Dans sa lettre
du 21 mai, elle est toute preoccupee des propos qu'Alexandre Dumas, Mme
Dorval et surtout Planche auraient tenus sur son compte. Si ce dernier,
dont la figure deplait a Musset, a reellement parle bassement de lui
et insolemment d'elle, elle ne le reverra de sa vie.... Mais elle veut
paraitre detachee de ces miseres. Et voici l'etat de son coeur:
... J'ai la pres de moi, mon ami, mon soutien; il ne souffre pas, lui,
il n'est pas faible, il n'est pas soupconneux, il n'a pas connu les
amertumes qui t'ont ronge le coeur; il n'a pas besoin de ma force, il
a son calme et sa vertu; il m'aime en paix, il est heureux sans que
je souffre, sans que je travaille a son bonheur. Eh bien, moi, j'ai
besoin de souffrir pour quelqu'un, j'ai besoin d'employer ce trop
d'energie et de sensibilite qui sont en moi. J'ai besoin de nourrir
cette maternelle sollicitude qui est habituee a veiller sur un etre
souffrant et fatigue. Oh! pourquoi ne pouvais-je vivre entre vous
deux et vous rendre heureux sans appartenir ni a l'un ni a l'autre!
J'aurais bien vecu dix ans ainsi. Il est bien vrai que j'avais besoin
d'un frere; pourqu
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