dans ses trois premieres _Lettres d'un voyageur._
Elles sont dediees a Alfred de Musset, "A un poete", et toutes
melancoliques de son souvenir. Dans la seconde, qui parut a la _Revue
des Deux Mondes_ du 15 juillet 1834, elle se met en scene _(Beppa)_ avec
tous ses attraits d'enigme vivante, ainsi que Pagello (sous le double
masque de _Pietro_ et du _Docteur_) et plusieurs de leurs familiers.
C'est un merveilleux tableau du charme de Venise. D'apres un dire de
l'eminent romancier vicentin Fogazzaro a M. Gaston Deschamps, on aurait
la le plus fidele portrait de la Reine des lagunes.
Pagello, lui-meme, etait gagne a cette exaltation. Il celebrait son amie
dans une charmante _Serenata_ en dialecte venitien. Elle a ete publiee
en partie par George Sand, mais anonyme, dans la seconde des _Lettres
d'un voyageur_. Une anthologie venitienne de M. Raphael Barbiera a
revele le veritable auteur, en donnant de nouvelles preuves de son
talent de poete.--Traduisons quatre strophes de la _Serenata_:
"Ne sois plus tourmentee de pensers melancoliques. Viens avec moi,
montons en gondole, nous gagnerons la pleine mer.
... Oh! quelle vision! quel spectacle presente la lagune, lorsque tout
est silence et que la lune brille au ciel!
... Abaisse ce voile, cache-toi; elle commence a paraitre... si elle
t'apercevait, elle pourrait devenir jalouse.
... Tu es belle, tu es jeune, tu es fraiche comme une fleur! Voici
venir le temps des larmes; ris aujourd'hui et fais l'amour."
Il faut lire la description feerique et si juste de ces adorables nuits
de Venise, dans la _Lettre_ de G. Sand, tout impregnee de cette poesie.
Ses preoccupations ordinaires etaient plus prosaiques. Sa correspondance
retentit d'une incessante reclamation d'argent a ses editeurs. A l'en
croire, elle aurait ete reduite aux derniers expedients, "a coucher sur
un matelas par terre, faute de lit". Les souvenirs de Pagello, que m'a
transmis une lettre de sa fille, Mme Antonini, protestent contre cette
excessive misere. Le menage n'etait pas riche, sans doute; mais on y
vivait allegre, en travaillant. George nous apprend, dans une de ses
lettres a Musset, que Pagello, tres occupe par ses malades, "est dehors
toute la journee, puis s'endort methodiquement sur le sofa apres le
diner, avec sa _pipetta_ dans l'oeil comme la flute de Deburau".
De son cote Pietro a conte que G. Sand ecrivait de six a huit heures de
suite, de preference la nuit, buvant beauc
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