sur l'affectueuse
sollicitude de Sainte-Beuve et l'etat precaire des pauvres amants de
Venise. Voici la partie de cette lettre qui nous interesse:
Je ne sais quel bon genie m'a conduit a Venise et m'a fait executer
par moi-meme et d'inspiration ce que votre lettre me recommandait avec
tant d'instances. J'ai tache, pendant mon sejour a Venise, de procurer
quelques distractions a Mme Dudevant, qui n'en pouvait plus; la
maladie d'Alfred l'avait beaucoup fatiguee. Je ne les ai quittes que
lorsqu'il m'a ete bien prouve que l'un etait tout a fait hors de
danger, et que l'autre etait entierement remise de ses longues
veilles.
Soyez donc maintenant sans inquietude, mon cher M. de Sainte-Beuve;
Alfred est dans les mains d'un jeune homme tout devoue, tres capable,
et qui le soigne comme un frere. Il a remplace aupres de lui un ane
qui le tuait tout bonnement. Des qu'il pourra se mettre en route, Mme
Dudevant et lui partiront pour Rome, dont Alfred a un desir effrene.
Vous les verrez avant moi qui vais continuer mon voyage; dites-leur
donc de ma part a tous deux ce que votre eloquente amitie trouvera
pour leur exprimer la mienne, qui n'est que bien tendre et bien
devouee[105].
[Note 105: _Revue de Paris_, 1er aout 1896.]
George Sand avait ouvert son coeur a ce cher camarade de Musset. Pagello
lui-meme s'etait fait de lui un ami sincere. Tout a ete conserve de
leurs correspondances. Dans l'opinion qu'il devait emporter,--a part
soi,--de cette aventure, l'aimable et faible Alfred Tattet semble avoir
d'abord subi l'influence de George Sand. Nous le verrons plus
tard essayant de detourner Musset de celle qui rendait sa vie si
malheureuse.--Dans les confidences qu'elle lui avait faites a Venise,
celle-ci lui avait-elle tout avoue? Le lecteur jugera, d'apres ce
fragment d'une de ses lettres a Tattet, ce qu'il lui convient de
conclure:
...Si quelqu'un vous demande ce que vous pensez de la feroce Lelia,
repondez seulement qu'elle ne vit pas de l'eau des mers et du sang
des hommes, en quoi elle est tres inferieure a Han d'Islande; dites
qu'elle vit de poulet bouilli, qu'elle porte des pantoufles le matin
et qu'elle fume des cigarettes de Maryland. Souvenez-vous tout seul
de l'avoir vue souffrir et de l'avoir entendue se plaindre, comme une
personne naturelle.--Vous m'avez dit que cet instant de confiance et
de sincerite etait l'effet du hasard et du desoeuvrement. Je n'en
sais
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