eureuse a tout prix. Oh! sois heureuse, bien-aimee de
mon ame! Le temps est inexorable, la mort avare; les dernieres annees
de la jeunesse s'envolent plus rapidement que les premieres. Sois
heureuse, ou, si tu ne l'es pas, tache d'oublier qu'on peut l'etre.
Hier, tu me disais qu'on ne l'etait jamais. Que t'ai-je repondu? Je
n'en sais rien, helas! ce n'est pas a moi d'en parler. Les condamnes a
mort ne renient point leur Dieu. Sois heureuse, aie du courage, de la
patience, de la pitie! Tache de vaincre un juste orgueil. Retrecis ton
coeur, mon grand George; tu en as trop pour une poitrine humaine. Mais
si tu renonces a la vie, si tu te retrouves jamais seule en face du
malheur, rappelle-toi le serment que tu m'as fait, ne meurs pas sans
moi. Souviens-t'en, souviens-t'en, tu me l'as promis devant Dieu.
Mais je ne mourrai pas, moi, sans avoir fait un livre sur moi et sur
toi (sur toi surtout). Non, ma belle, ma sainte fiancee, tu ne te
coucheras pas dans cette froide terre sans qu'elle sache qui elle a
porte.
Non, non, j'en jure par ma jeunesse et par mon genie, il ne poussera
sur ta tombe que des lis sans tache. J'y poserai de ces mains que
voila ton epitaphe en marbre plus pur que les statues de nos gloires
d'un jour. La posterite repetera nos noms comme ceux de ces amants
immortels qui n'en ont plus qu'un a eux deux, comme Romeo et Juliette,
comme Heloise et Abelard. On ne parlera jamais de l'un sans parler
de l'autre. Ce sera la un mariage plus sacre que ceux que font les
pretres, le mariage imperissable et chaste de l'intelligence. Les
peuples futurs y reconnaitront le symbole du seul Dieu qu'ils
adoreront. Quelqu'un n'a-t-il pas dit que les revolutions de l'esprit
humain avaient toujours des avant-coureurs qui les annoncaient a leur
siecle? Eh bien, le siecle de l'intelligence est venu. Elle sort des
ruines du monde, cette souverainete de l'avenir; elle gravera ton
portrait et le mien sur une des pierres de son collier. Elle sera le
pretre qui nous benira, qui nous couchera dans la tombe, comme une
mere y couche sa fille le soir de ses noces. Elle ecrira nos deux
chiffres sur la nouvelle ecorce de l'arbre de la vie. Je terminerai
ton histoire par mon hymne d'amour. Je ferai un appel, du fond d'un
coeur de vingt ans, a tous les enfants de la terre; je sonnerai aux
oreilles de ce siecle blase et corrompu, athee et crapuleux, la
trompette des res
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