er les souffrances que je
t'ai causees et ne te rappeler que les bons jours! le dernier surtout,
qui me laissera un baume dans le coeur et en soulagera la blessure.
Adieu, mon petit oiseau. Aime toujours ton pauvre vieux George.[120]
[Note 120: Lettre du 30 mars. _(Revue de Paris_ du 1er nov. 1896.)]
C'est la nature desordonnee de cette affection, qui allait a jamais
empoisonner la vie d'Alfred de Musset. Pour avoir goute a l'amour de
cette femme, ou cru seulement trouver en elle de l'amour, il restait
prisonnier d'un mirage. Sa vanite d'amant avait rejoint l'orgueil de sa
maitresse, pour les faire tous deux souffrir. S'il n'avait pas eu le
courage de la quitter, elle n'avait pas eu la resignation de le perdre.
Sa fatalite la faisait aussi attachante par un charme irritant d'enigme,
que par une instinctive et apaisante bonte. Musset ne pouvait oublier
tant de preuves d'affection et de sollicitude. Il la savait egalement
sensible a la faiblesse eperdue de son amour et ne voulait se resoudre a
penser qu'elle ne lui reviendrait jamais.
Il restait obsede quand meme par l'image du beau Venitien denue de ses
tourments d'ame, qui l'avait supplante.--Sans croire si mal faire,
Pagello avait desire, sollicite peut-etre, les tendresses d'un coeur qui
se declarait libre. Pouvait-il se douter que le poete en recevrait si
cruelle blessure, et prevoir telles consequences a un caprice sans
reflexion de l'homme gate des femmes qu'il etait.... Il allait
lui-meme en souffrir, maintenant, dans la stupeur d'une aventure ou
s'enchevetraient trop de sentiments, pour sa psychologie saine. "Je ne
te dis rien de Pagello, ecrit George Sand a l'ami qu'elle quitte, sinon
qu'il te pleure presque autant que moi, et que quand je lui ai redit
tout ce dont tu m'avais charge pour lui, il s'est enfui de colere et en
sanglotant."
Ils devaient souffrir tous les trois.--Musset poursuit son voyage, trop
navre pour ecrire encore, et Antonio est negligent. George Sand,
restee douze jours sans nouvelles, se prend a songer a tout ce passe
douloureux. Elle est inquiete, et voici qu'elle aime d'amour son absent.
Elle a peur de l'avoir perdue, cette ame charmante et bonne jusqu'en ses
erreurs, ce brave coeur d'enfant qu'elle avait si pleinement conquis! Ou
retrouvera-t-elle ces ineffables abandons de jeunesse et de poesie!
Quel autre amant le ferait oublier!... Et l'angoisse deja redouble sa
tendresse... Pendant ce carnaval de 1834, bien triste pour ell
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