qu'ils pouvaient, elle l'esperer, lui le craindre. Elle a cede au
supreme desir de son amant d'autrefois, insoucieuse de Pagello. Le
lendemain, Musset, qui va decidement partir, lui adresse cette belle
page triste--qu'on est tente de trouver... litteraire:
Je t'envoie un adieu, ma bien-aimee, et je l'envoie avec confiance,
non sans douleur, mais sans desespoir. Les angoisses cruelles, les
luttes poignantes, les larmes ameres ont fait place en moi a une
compagne bien chere: la pale melancolie. Ce matin, apres une nuit
tranquille, je l'ai trouvee au chevet de mon lit, avec un doux sourire
sur les levres. C'est l'amie qui part avec moi. Elle porte au front
ton dernier baiser. Pourquoi craindrais-je de te le dire? N'a-t-il pas
ete aussi chaste, aussi pur que ta belle ame, o ma bien-aimee? Tu
ne te reprocheras jamais ces deux heures si tristes que nous avons
passees; tu en garderas la memoire. Elles ont verse sur ma plaie un
baume salutaire. Tu ne te repentiras pas d'avoir laisse a ton pauvre
ami un souvenir qu'il emportera, et que toutes les peines et toutes
les joies futures trouveront comme un talisman sur son coeur entre le
monde et lui.
Notre amitie est consacree, mon enfant; elle a recu hier, devant Dieu,
le saint bapteme de nos larmes. Elle est immortelle comme lui. Je ne
crains plus rien, ni n'espere plus rien. J'ai fini sur la terre. Il ne
m'etait pas reserve d'avoir un plus grand bonheur. Eh bien, ma soeur
cherie, je vais quitter ma patrie, ma mere, mes amis, le monde de ma
jeunesse; je vais partir seul, pour toujours, et je remercie Dieu.
Celui qui est aime de toi ne peut plus maudire. George, je puis
souffrir encore maintenant, mais je ne puis plus maudire.
Quant a nos rapports a venir, tu decideras seule sur quoi que ce soit
qui regarde ma vie; parle, dis un mot, mon enfant, ma vie est a toi.
Ecris-moi d'aller mourir en silence dans un coin de la terre, a trois
cents lieues de toi, j'irai. Consulte ton coeur, si tu crois que Dieu
le le dit, tache de defendre notre pauvre amitie, reserve-toi de
pouvoir m'envoyer de temps en temps une poignee de main, un mot, une
larme! Helas! ce sont la tous mes biens. Mais si tu crois devoir
sacrifier notre amitie, si mes lettres meme hors de France troublent
ton bonheur, mon enfant, ou seulement ton repos, n'hesite pas,
oublie-moi. Je te le dis, je puis souffrir beaucoup sans me plaindre,
a present, sois h
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