meme est jaloux. Il faut se separer tous les trois. "Ne
m'aime plus: je ne vaux plus rien... Il faut donc nous quitter, puisque
tu arrives a te persuader que tu ne peux guerir de cet amour pour moi,
qui te fait tant de mal, et que tu as pourtant si solennellement abjure
a Venise, avant et meme encore apres ta maladie. Adieu donc le beau
poeme de notre amitie sainte et de ce lien ideal qui s'etait forme entre
nous trois, lorsque tu _lui_ arrachas a Venise l'aveu de son amour pour
moi et qu'il jura de me rendre heureuse." Et elle ajoute que lui-meme,
il a uni _leurs_ mains malgre _eux_[132]...
[Note 132: Nous avons donne le passage, _Introduction_, p. VI.]
Cette lettre a desole Musset, qui la lui renvoie comme elle l'exige. Il
n'a jamais vu aussi clairement, lui dit-il, combien il est peu de
chose dans sa vie. Mais, il la sait, au fond, plus malheureuse encore
qu'indifferente:
...Il faut, ma pauvre amie, que ton coeur soit bien malade, et ne
crois pas que je sois moi-meme de force a t'adresser un reproche. Il
faut que tu souffres beaucoup pour que tu n'aies meme plus une larme
pour moi, et pour qu'en face de Dieu tu manques a la parole qui,
_depuis trente ans_, disais-tu, _n'a pas encore ete faussee_. Elle le
sera donc une fois, et j'aurai perdu le seul jour de bonheur qui me
restait encore. Qu'il en soit ce qui plait a Dieu ou a l'Esprit du
Mort. Car, a vingt-deux ans, sans avoir jamais fait de mal a personne,
en etre ou je suis, et recevoir ainsi constamment, jour par jour, un
nouveau coup de pierre sur la tete, c'est trop.
... Que crois-tu donc m'apprendre, mon enfant, en me disant qu'un
soupcon jaloux tue l'amour dans ton coeur? Qui crois-tu donc que
j'aime? Toi ou une autre? Tu t'appelles _insensible, un etre sterile
et maudit_? Tu te demandes si tu n'es pas un monstre d'avoir le coeur
fait comme tu l'as, et tu me dis de fremir en songeant de quels abimes
je suis sorti. Eh! mon amie, me voila ici, a Baden, a deux pas de la
Maison de Conversation. Je n'ai qu'a mettre mes souliers et mon habit
pour aller faire autant de declarations d'amour que j'en voudrais a
autant de jolies petites poupees qui ne me recevront peut-etre
pas toutes mal; qui, a coup sur, sont fort jolies, et qui, plus
certainement encore, ne quittent pas leur amant, parce qu'elles ne
veulent pas se voir meconnaitre. Quoi que tu fasses ou quoi que tu
dises, morte ou vive, sache que je t'aime, entends-
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