poete rentra chez sa mere. La premiere
fois qu'il voulut raconter les causes de son retour, il tomba en
syncope.... Peu a peu il se retablit. Le perruquier Antonio, son
domestique improvise, fut pris de nostalgie et regagna ses lagunes, avec
une pacotille de parfumerie parisienne. Musset, a qui allait manquer
ce vivant souvenir d'Italie, essaya de se distraire, et tout d'un coup
reprit sa vie ancienne.
Nous avons vu comme il contait a George Sand cette tentative d'oubli; ce
n'etait que pour lui mieux confesser son incurable amour. Dans la meme
lettre, il lui dit avoir ete chez elle, quai Malaquais, et n'avoir pu y
rester, de tristesse. Il voudrait travailler; il ne peut pas: "des que
l'imbecile reflechit un quart d'heure, voila les larmes qui arrivent."
... Mon amie, tu m'as ecrit une bonne lettre; mais ce ne sont pas de
ces lettres-la qu'il faut m'ecrire. Dis-moi plutot, mon enfant, que tu
t'es donnee a l'homme que tu aimes, parle-moi de vos joies.--Non, ne
me dis pas cela. Dis-moi simplement que tu aimes et que tu es aimee.
Alors, je me sens plein de courage, et je demande au ciel que chacune
de mes souffrances se change en joie pour toi. Alors, je me sens seul,
seul pour toujours, et la force me revient, car je suis jeune, et la
vie ne veut pas mourir dans sa seve. Mais songe que je t'aime, qu'un
mot de toi pourra toujours decider de ma vie, et que le passe entier
se retourne en l'entendant.
Il ne faut pas m'en vouloir, mon enfant, de tout cela. Je fais ce que
je peux (peut-etre plus). Songe qu'a present il ne peut plus y avoir
en moi ni fureur ni colere. Ce n'est pas ma maitresse qui me manque.
C'est mon camarade George. Je n'ai pas besoin d'une femme. J'ai besoin
de ce regard que je trouvais a cote de moi pour me repondre. Il n'y a
la ni amour importun, ni jalousie, mais une tristesse profonde....
Il parle encore a son amie de mauvais cancans repandus contre eux dans
Paris, et lui envoie cette derniere tendresse:
Adieu, ma soeur adoree. Va au Tyrol, a Venise, a Constantinople; fais
ce qui te plait. Ris et pleure a ta guise. Mais le jour ou tu te
retrouveras quelque part seule et triste, comme a ce Lido, etends la
main avant de mourir et souviens-toi qu'il y a dans un coin du monde
un etre dont tu es le premier et le dernier amour. Adieu mon amie, ma
seule maitresse. Ecris-moi surtout, ecris-moi.
Cette lettre a trouve G. Sand completement rassuree sur le coeur
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