de ma
vie. Je te le dis franchement et hautement, parce que j'ai raisonne
avec cet amour-la, jour par jour, minute par minute, dans la solitude
et dans la foule, depuis cinq mois, que je sais qu'il est invincible,
mais que tout invincible qu'il est, ma volonte le sera aussi. Ils ne
peuvent se detruire l'un par l'autre; mais il depend de moi de faire
agir l'un plutot que l'autre. Ne te donne pas la peine de penser a
tout cela; il y a longtemps que j'y pense. Lorsque j'ai risque de le
voir, j'avais calcule toutes les chances: celle-la est sortie. Ne t'en
afflige pas surtout, et sois sure qu'il n'y a pas dans mon coeur une
goutte d'amertume.
Il compte aller a Toulouse, puis chez son oncle Desherbiers, qui est
sous-prefet de Lavaur; de la dans les Pyrenees et peut-etre en Espagne.
Mais elle hesite maintenant a accepter ce rendez-vous. Supreme
coquetterie de femme, ou crainte d'elle-meme? Musset n'y tient plus; il
supplie:
C'est trop ou trop peu. Manques-tu de courage? Revoyons-nous, je t'en
donnerai. Parle ou ne parle pas; les levres des hommes n'ont pas de
parole que je ne puisse entendre sans crainte. Tu me dis que tu ne
crains pas de blesser Pierre. Quoi donc alors? Ta position n'est pas
changee. Mon amour-propre, dis-tu? Ecoute, ecoute, George: si tu as du
coeur, rencontrons-nous quelque part, chez moi, chez toi, au Jardin
des Plantes, au Cimetiere, au tombeau de mon pere (c'est la que
je voudrais te dire adieu). Ouvre ton coeur sans arriere-pensee;
ecoute-moi te jurer de mourir avec ton amour dans le coeur, un dernier
baiser, et adieu! Que crains-tu? O mon enfant, souviens-toi de ce
triste soir a Venise, ou tu m'as dit que tu avais un secret. C'etait a
un jaloux stupide que tu croyais parler. Non, non, George, c'est a un
ami.
C'est la Providence qui changea tout a coup l'homme a qui tu
parlais. Rappelle-toi cela. Au milieu de cette vie de miseres et de
souffrances, Dieu m'accorde peut-etre la consolation de t'etre bon a
quelque chose. Sois-en sure, oui, je le sens la, je ne suis pas ton
mauvais genie. Qui sait ce que le ciel veut de nous? Peut-etre suis-je
destine a te rendre encore une fois le repos.
Songe que je pars, mon enfant. Ne fermons pas legerement des portes
eternelles. Et puis, avoir tant souffert pendant cinq mois, partir
pour souffrir plus encore, partir pour toujours, te savoir malheureuse
quand j'ai tout perdu pour te voir tranq
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