e copier sur l'autographe de son frere Paul:
DICTE PAR ALFRED DE MUSSET A SON FRERE, DECEMBRE 1852.
Il y avait a peu pres huit ou dix jours que j'etais malade a Venise. Un
soir, Pagello et G.S. etaient assis pres de mon lit. Je voyais l'un, je
ne voyais pas l'autre, et je les entendais tous deux. Par instants, les
sons de leurs voix me paraissaient faibles et lointains; par instants,
ils resonnaient dans ma tete avec un bruit insupportable.
Je sentais des bouffees de froid monter du fond de mon lit, une vapeur
glacee, comme il en sort d'une cave ou d'un tombeau, me penetrer jusqu'a
la moelle des os. Je concus la pensee d'appeler, mais je ne l'essayai
meme pas, tant il y avait loin du siege de ma pensee aux organes qui
auraient du l'exprimer. A l'idee qu'on pouvait me croire mort et
m'enterrer avec ce reste de vie refugie dans mon cerveau, j'eus peur; et
il me fut impossible d'en donner aucun signe. Par bonheur, une main,
je ne sais laquelle, ota de mon front la compresse d'eau froide, et je
sentis un peu de chaleur.
J'entendis alors mes deux gardiens se consulter sur mon etat. Ils
n'esperaient plus me sauver. Pagello s'approcha du lit et me tata le
pouls. Le mouvement qu'il me fit faire etait si brusque pour ma pauvre
machine que je souffris comme si on m'eut ecartele. Le medecin ne se
donna pas la peine de poser doucement mon bras sur le lit. Il le jeta
comme une chose inerte, me croyant mort ou a peu pres. A cette secousse
terrible, je sentis toutes mes fibres se rompre a la fois; j'entendis un
coup de tonnerre dans ma tete et je m'evanouis. Il se passa ensuite un
long temps. Est-ce le meme jour ou le lendemain que je vis le tableau
suivant, c'est ce que je ne saurais dire aujourd'hui. Quoi qu'il en
soit, je suis certain d'avoir apercu ce tableau que j'aurais pris pour
une vision de malade si d'autres preuves et des aveux complets ne
m'eussent appris que je ne m'etais pas trompe. En face de moi je voyais
une femme assise sur les genoux d'un homme. Elle avait la tete renversee
en arriere. Je n'avais pas la force de soulever ma paupiere pour voir le
haut de ce groupe, ou la tete de l'homme devait se trouver. Le rideau
du lit me derobait aussi une partie du groupe; mais cette tete que je
cherchais vint d'elle-meme se poser dans mon rayon visuel. Je vis les
deux personnes s'embrasser. Dans le premier moment, ce tableau ne me fit
pas une vive impression. Il me fallut une minute pour comprendre cette
revelation; mais
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