r couru pour
sa vie un grave peril. La Sand n'y etait pas. Assis contre le lit du
patient et causant avec lui, je n'osai demander ou etait sa compagne
de voyage; mais un mouvement involontaire me fit maintes fois regarder
derriere moi comme si je la sentais approcher, et j'epiais la porte
d'une chambre voisine d'ou je m'attendais a la voir apparaitre. Il
y avait pourtant deux desirs contraires en moi: l'un qui haletait
ardemment de la voir, l'autre qui aurait voulu la fuir, mais celui-ci
perdait toujours a la loterie.
Tout a coup s'ouvrit la porte que je regardais, et George Sand
apparut, introduisant sa petite main dans un gant d'une rare
blancheur, vetue d'une robe de satin couleur noisette, avec un petit
chapeau de peluche orne d'une belle plume d'autruche ondoyante, avec
une echarpe de cachemire aux grandes arabesques, d'un excellent et fin
gout francais. Je ne l'avais vue encore aussi elegamment paree et j'en
demeurais surpris, lorsque s'avancant vers moi avec une grace et une
desinvolture enchanteresses, elle me dit: "--Signor Pagello, j'aurais
besoin de votre compagnie pour aller faire quelques petits achats, si,
cependant, cela ne vous derange pas."
Je ne sus que bredouiller: que je me tenais honore de me mettre a
son service comme _cicerone_ et comme interprete. Alfred alors nous
congedia, et nous sortimes ensemble. Quand je me sentis au grand
air, il me sembla respirer plus librement, et je parlai avec plus de
desinvolture et plus d'agilite. Elle me raconta comment elle vivait
depuis quelques mois en relations avec Alfred, combien de raisons
nombreuses elle avait de se plaindre de lui, et qu'elle etait
determinee a ne pas retourner avec lui en France. Je vis alors mon
sort, je n'en eus ni joie ni douleur, mais je m'y engouffrai les yeux
fermes. Je vous fais grace de la tres longue conversation que j'eus
avec George Sand, en nous promenant, trois heures durant, de-ci et
de-la sur la place Saint-Marc. Nous parlames comme tout le monde en
semblable cas. C'etaient les variations accoutumees du verbe _je
t'aime_... Mais, apres vingt jours ecoules, il survint des faits plus
graves.
Le journal de Pagello suspend ici le recit de son aventure, du moins
jusqu'apres que Musset aura quitte Venise. C'est maintenant pourtant
que le drame commence.--La maladie du poete et sa convalescence se
prolongeront jusqu'au 29 mars 1834, date de son retour en Franc
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