une question que les evenements n'ont pas
laisse poser; mais on devine le ressentiment des beys et, si l'on songe
que c'est a Tirana que cette politique s'est surtout affirmee, on peut
facilement concevoir l'etat d'esprit d'Essad Pacha a l'egard de la
Jeune-Turquie, qu'il distinguait soigneusement de la Turquie tout court.
De la mefiance extreme qu'il ressentait alors, il serait sans doute
passe a des sentiments plus vifs et plus agissants, quand une occasion
inesperee amena la famille des Toptan a concevoir les plus hautes
ambitions. En Albanie, Tirana et El-Bassam, cites antiques et voisines,
sont au coeur du pays; c'est le lieu geographique ou peut, ou doit etre
le centre de reunion des elements albanais du nord, du sud et de l'est;
c'est l'Ile-de-France albanaise; c'est Beauvais, Compiegne ou Paris
avec, en facade sur l'Adriatique, Durazzo comme jadis Rouen etait le
port sur la Manche. C'est la que les tendances diverses ont des points
de contact; Toscs du sud, Guegues du nord orthodoxes, musulmans,
catholiques, tous sont presents de Durazzo a El-Bassam sur les bords du
Scoumbi, quoique les musulmans dominent. La nature a dicte le choix;
c'est la que l'Albanie autonome devait etablir sa capitale. Vallona et
Scutari sont aux extremites du pays, sans contact, ni connaissance des
autres regions lointaines; a Scutari, pas un orthodoxe, a Vallona, pas
un catholique ne demeure; ici et la, des gouvernements de partis peuvent
s'organiser; mais pour qu'un pouvoir central et national soit capable de
durer, c'est dans la region centrale de Durazzo, Tirana, El-Bassam ou
meme Kroia qu'il doit fixer sa residence.
Les Toptan pouvaient d'autant moins oublier ces faits, qu'Ismail Kemal
n'a jamais ete de leurs amis; au congres d'El-Bassam, les beys
d'El-Bassam, de Berat, de Koritza, de Vallona etaient fort chauds
partisans d'Ismail; les Toptan se reservaient; ils trouvaient deja
excessive l'influence qu'exercait cet homme politique dans l'Albanie
d'avant la guerre; ils la combattaient et rappelaient qu'Ismail avait
ete traitre a la Turquie sous l'ancien regime, en complotant pour
l'independance de l'Albanie, et ajoutaient que, quoique pauvre, il avait
toujours eu des fonds a sa disposition, dont ses relations avec
l'etranger pouvaient expliquer l'origine. Les Toptan, au contraire, se
piquaient d'etre des Albanais a la fois loyaux a l'egard de la Porte et
tres soucieux des libertes albanaises. Je me rappelle encore le mot qui
termi
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