ns d'Okrida. Mais tous ces arrangements ont pris du temps et il
est deja cinq heures quand nous partons.
* * * * *
Nous quittons bientot la vallee du Scoumbi pour suivre celle d'un de ses
affluents, le Langaica; c'est un torrent qui coule encaisse dans une
gorge ou la route se faufile par un etroit passage; de chaque cote, sur
les pentes, des grands arbres de toute essence couvrent la montagne et
ferment l'horizon; bientot le ciel se couvre, une pluie fine embrume la
vallee et la nuit tombe; a sept heures, il fait nuit noire, on n'entend
que le grondement du torrent au-dessous de nous et le vent qui deferle
dans les arbres; l'ouragan arrive, le vent hurle et passe sur la foret
comme une vague immense qui ploie devant elle toutes les branches; tous
les dix pas nous nous arretons pour tater le chemin de la crosse des
fusils: la ligne qui separe la route du gouffre ou roulent les eaux avec
fracas est presque invisible; tout a coup un premier eclair jaillit et
nous laisse aveugles, toute la gorge tremble des echos du tonnerre; la
pluie redouble et fait rage; pour se donner courage, le souvarys chante
un air du pays qui fait marquer le pas.
A peine a-t-il commence qu'il s'arrete et me montre dans la foret, sur
l'autre rive, un point lumineux; je ne sais d'abord ce qu'il veut
m'indiquer, mais bientot nous distinguons un grand feu; des pieux
supportent une toile, sous laquelle des hommes paraissent s'abriter et
se chauffer; le chant ou le bruit de nos pas ont decele notre presence;
un des hommes eclaires par l'atre se leve et pousse un cri d'appel,
lugubre comme un croassement de corbeau; par trois fois il le repete; le
souvarys tres bas m'explique que c'est l'appel des bandes de la
montagne; il n'est point rassure, mais ajoute qu'avec le temps qu'il
fait elles ne quitteront sans doute pas leur abri; sur ses indications,
nous nous eloignons les uns des autres, le souvarys passe le premier,
moi ensuite, le drogman le dernier; nous marchons en etouffant nos pas
et en rasant la montagne; comme les eclairs illuminent par instants la
vallee, nous cachons tout ce qui brille et attire le regard. Nous avons
depasse la ligne du feu et au bout d'un quart d'heure nous sommes deja
hors de portee; le camp disparait au tournant de la gorge, et deja nous
nous felicitons d'avoir passe sans encombre, quand a un nouveau detour
de la vallee etincelle un immense brasier, ou parait rotir quelque bete;
sa flamme
|