un de mes compagnons, emporte sans doute par les souvenirs des
jours passes, entonne un air fier et melancolique, que les autres
reprennent en choeur; c'est le chant albanais de Scanderbeg.
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Rien ne montre mieux que l'Albanais musulman est d'abord Albanais; car
Scanderbeg, dont le souvenir est vivant dans l'Albanie entiere,
qu'est-ce autre chose que le dernier prince de l'Albanie independante en
lutte contre le Turc, en meme temps que le defenseur de la Croix contre
le Croissant? On sait son veritable nom, Georges Castriote, surnomme
Iskender-Beg ou prince Alexandre, du temps que, prisonnier de guerre des
Turcs, il faisait ses premieres armes en Asie Mineure; en 1443, il
quitte avec des compagnons les camps turcs attaques par les Hongrois;
par surprise il reprend aux Turcs la ville que son pere gouvernait,
Kroia, et proclame la guerre sainte, la croisade contre le Turc; les
autres chefs de clans le reconnaissent comme general et prince de la
confederation albanaise a Alessio et, un quart de siecle durant, il les
mene a la bataille contre l'Osmanlis; sa capitale, Kroia, est assiegee
deux fois par les sultans Amurat et Mahomet II, mais il mene si bien la
campagne que les armees turques sont affamees, coupees de leurs
communications; leurs detachements sont surpris; elles doivent lever
leur camp, et quand il meurt a Alessio en 1467 ou 1468, apres vingt-cinq
annees de lutte interrompue par une seule treve, l'Albanie est libre et
les clans federes. Mais lui mort, comme les generaux d'Alexandre se
partageaient son empire, les beys lieutenants du prince Alexandre ne
surent maintenir la confederation albanaise et, comme une grande houle,
la conquete musulmane submergea le pays, convertit par la force la
majorite des habitants et ferma a l'Occident ce territoire, jadis tete
de pont de la chretiente au dela de l'Adriatique.
Or ce ne sont pas seulement les Mirdites et les catholiques du nord de
l'Albanie qui conservent avec une piete profonde le souvenir du heros
chretien; c'est toute l'Albanie musulmane, orthodoxe et catholique,
celle des tekie comme celle des monasteres, qui garde en sa memoire
l'image du dernier defenseur de l'Albanie independante. Les siecles qui
ont passe ont entoure son histoire d'une legende si populaire que, si
l'unite de l'Albanie s'affirme, c'est ce souvenir qui en sera le plus
fort ciment. Du passe si recule de leur race antique, l'epopee de
Scanderbeg est ce
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