rougit une douzaine de figures haves et des corps paraissent
etendus contre terre; avec prudence nous glissons sans bruit sur la
route; mais les appels anterieurs ont donne l'eveil et le meme cri
prolonge et sinistre retentit par trois fois. Nous sommes signales. La
pluie s'arrete et nos pas nous semblent soulever au loin un echo; mais
les eclairs ont cesse et il est impossible de percer les tenebres; sans
dire mot nous suivons le souvarys toujours en tete qui scrute l'ombre de
la route et nous guide. A nouveau l'appel retentit, cri frissonnant et
angoissant qui semble n'avoir rien d'humain. Puis un autre sur un autre
ton, bref et saccade, comme un commandement. Tout se tait. Au profond de
la foret, le brasier ardent flamboie. Nous ne voyons que lui. Il etait
sans doute a 300 metres sur l'autre rive; il semble que nous le touchons
et nous croyons froler les hommes aux aguets qui ecoutent et epient les
sonorites de la nuit. Mais la pluie reprend avec fureur, et sous cette
eau qui fouette, tous les bruits s'enveloppent de mystere. Nous marchons
un temps que nous ne saurions dire, lentement, car il faut reconnaitre
notre route, a pas etouffes toujours, car nous gardons dans les yeux les
reflets des visions ardentes.
Enfin dans le lointain voici a la clarte d'un eclair des maisons qui
apparaissent; la route les traverse; pas une n'est eclairee; tout parait
mort; nous nous consultons; il est neuf heures du soir; nos vetements
nous collent sur le dos, tant ils sont mouilles, et l'homme avec nos
bagages a pris les devants. Nous ne saurions donc changer de linge et,
dans l'etat ou nous sommes, il faut marcher. La vallee s'ouvre et
presente un large fond plat ou la riviere serpente; nous continuons une
heure encore, quand tout d'un coup nous nous sentons dans les herbes; le
souvarys s'est perdu, la nuit est si obscure qu'en vain nous regardons;
on ne peut que tater le sol; nous essayons de faire de la lumiere, mais
le vent fait rage et nous en empeche; nous tentons d'explorer les
environs, mais mon drogman se jette, ce faisant, dans un fosse rempli
d'eau, d'ou nous le tirons avec peine. Il faut en prendre notre parti:
la route est impossible a retrouver. Et voici que l'orage redouble, une
trombe s'abat sur nous et nous aveugle. Aussi, les eclairs aidant,
retournons-nous sur nos pas, resolus a nous faire ouvrir une des maisons
du village.
Non sans difficulte nous atteignons celui-ci. Nous frappons a la
premiere maison; qu'elle
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