s fonctionnaires qui, pour etre
souvent des Albanais, n'en etaient pas moins ses agents, serviteurs
obeissant au mot d'ordre de Constantinople. Sans doute l'action du
pouvoir s'est toujours exercee avec une certaine circonspection et, dans
les cas delicats, la Sublime Porte usait du procede d'exciter les uns
contre les autres les elements de la population pour ne pas permettre
une action concertee contre son autorite; les monopoles, comme celui du
tabac, etaient presque inobserves partout; chaque paysan conservait ses
armes dans sa demeure, toutes pretes au premier signal; mais, sauf dans
la montagne, les deux marques de la souverainete se retrouvaient: le
paiement de la dime et l'acceptation du service militaire.
Le paysan de ces contrees a donc le respect de l'autorite
gouvernementale; mais il y joint un sens tres vif de sa nationalite:
constitution ou ancien regime, autonomie ou independance, tous ces mots
n'ont pas grand sens a ses oreilles; musulman hospitalier, mais tres
pieux, il exige le respect exterieur des choses de son culte; tolerant
pour une religion differente, il lui serait insupportable d'etre soumis
a des maitres etrangers; il n'a pas la passivite du paysan turc et son
fanatisme; son sang albanais le lui defend; beaucoup d'entre eux ont
l'esprit vif, une intelligence naturelle, qui depuis des siecles n'a eu
aucun aliment et a besoin d'etre cultivee.
D'une maniere generale, dans les regions du centre, il ne parait pas
malheureux, je veux dire qu'il n'a pas le sentiment de l'etre; il ne se
plaint pas de son sort; fait caracteristique, une seule chose
l'inquietait: on sait quel effroyable deboisement ont subi les montagnes
de l'ancienne Turquie; de Constantinople a la Grece, de la mer Egee a la
Bosnie, le voyageur n'apercoit que des montagnes pelees, tondues par la
dent des bestiaux, surtout des chevres: c'est un vrai paysage de
desolation et un desastre economique. Or l'Albanie constitue en Europe
la derniere reserve de forets de l'ancienne Turquie, et cette reserve
est deja fortement entamee. A la veille des guerres balkaniques, le
regime jeune-turc, avec un grand sens de l'avenir, voulut defendre aux
bestiaux l'acces de ces forets; c'est cette mesure qui causait une
grande apprehension aux paysans. Ils me disaient: "Nos terres sont en
petite etendue dans nos vallees, nous n'y avons pas assez de paturages:
si on nous interdit de laisser nos betes paitre dans les bois de nos
montagnes, que faire? Il n
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