voisines. Une
douzaine de serviteurs vont et viennent; la plupart sont jeunes et
engages chez Derwisch depuis quelques annees seulement; un catholique
d'Orosch est parmi eux; on lui dit que je viens de son village et il
accourt m'embrasser la main; chacun d'entre eux a son service special et
recoit, outre la nourriture, quatre medjidie par mois.
L'un d'eux a pour office d'apporter a tout nouvel arrivant le sirop de
cerise melange d'eau et le cafe traditionnel; ici un usage slave s'est
introduit, qui n'existe pas dans le nord; l'hote offre avant ces
rafraichissements une cuilleree de confitures comme premiere politesse.
Tous ces serviteurs sont d'une extreme deference pour le maitre: quand
ils le voient, ils portent la main a leur coeur, puis s'inclinent,
abaissent la main, geste symbolique pour ramasser la poussiere du sol,
puis touchent de leurs doigts leur front et leur bouche. Chaque fois
qu'ils apportent au chef ou aux hotes un objet quelconque, le respect
veut qu'ils s'inclinent legerement, en portant la main a la poitrine, et
ils doivent n'approcher que pieds nus ou chausses de laine.
Dans la grande cour, les habitants d'El-Bassam passent et causent; ils
s'entretiennent du grand jour qui approche; toute l'Albanie est la et en
cette heure de crise c'est la destinee d'un peuple qui se joue.
Derwisch bey, prevenu de mon arrivee, vient a moi; c'est un homme de
quarante ans, elegamment vetu a l'europeenne d'une jaquette s'ouvrant
sur un gilet blanc et un pantalon clair; il a adopte comme coiffure un
polo rouge, sorte de transaction entre le fez et le polo albanais de
laine blanche; plutot grand, tres brun, la moustache courte et chatain
fonce, il presente une physionomie etrange qu'animent des yeux gris
clair toujours en mouvement; aimant la parole, prodigue de ses gestes,
agile et presque fievreux, il se depense, cause, harangue, interpelle,
va, vient, attend les nouvelles, et se montre plein de joie aux noms des
arrivants. Il me presente ses deux freres, Kiamil bey et Hassan bey,
s'excuse de ne pouvoir me consacrer tout son temps, mais ses freres, me
dit-il, le remplaceront et il tient a ce que j'accepte l'hospitalite
dans sa demeure.
Le soir est venu; les femmes de Derwisch, voilees de blanc ou de noir
avec un soin extreme, viennent de rentrer de leur promenade journaliere;
tandis que Derwisch va les rejoindre au haremlik, Kiamil me fait entrer
au selamlik et me montre le lit qu'on m'a apprete sur des tapis;
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