ar la population musulmane entiere, du riche bey au plus
pauvre paysan, a pour eux un respect profond et une veneration sans
reserve; dans chaque tekie des tombeaux de saints sont un lieu de
pelerinage quotidien; chaque fidele y vient deposer son offrande forte
ou modeste et l'ordre vit des revenus de ses terres et des dons des
pieux mahometans.
Ainsi, malgre l'opposition des doctrines religieuses, les formes de
l'organisation ecclesiastique ne sont pas tres differentes chez les
musulmans et chez les orthodoxes; chez les uns et chez les autres, a
cote du clerge seculier, pope ou hodja, qui vit au milieu des fideles,
participe a l'existence commune, prend femme et constitue un foyer, un
element monastique s'est constitue depuis des siecles autour de
sanctuaires, de tombeaux et de souvenirs reveres; des moines y vivent
une vie conventuelle sous la direction d'un chef, et le monastere est
devenu avec le temps un centre national autant que religieux, le foyer
des nationalites en lutte, le temple vivant des traditions et des
espoirs d'un peuple; dans ces regions disputees des Balkans, le
monastere concentre tout ce qui demeure vivace dans les sentiments
populaires.
De meme que chez les orthodoxes, le moine, a la difference du pope, ne
se marie pas pour consacrer toute son activite a la propagande et a la
defense de son ideal religieux et national, de meme le Becktachi est
derviche et, dans une ceremonie solennelle, prononce ses voeux et jure
de ne pas prendre femme. Leur existence est partagee entre les prieres
et ceremonies religieuses et les travaux des champs, et leur office est
de veiller au tombeau confie a leur garde. C'est celui d'un grand saint
de leur ordre, et son sepulcre est protege par une construction de
pierre de forme hexagonale, situee a quelques metres au-dessus des
autres batiments. Les moines m'y conduisent. Sur une des faces de
l'edifice, une porte basse s'ouvre et sur les autres d'etroites
fenetres; on me fait entrer; l'interieur est a peine eclaire; a meme le
sol git une tombe de bois; un drap vert la recouvre en partie; au pied
on a jete un linge brode; a la tete, la planche du tombeau supporte un
piquet de bois, plante obliquement, autour duquel est enroule un voile
de gaze. C'est tout; les murs, blanchis a la chaux, sont nus. Pas une
inscription, pas un mot: c'est le silence de la mort.
En sortant de la tekie, je demande a mon guide si les moines viennent
mediter ici; il me repond simplement:
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