ne grande
distance, fraiche quoique nue, mais triste et solennelle malgre sa
fertilite. Une croix de bois est plantee sur un piedestal de pierre qui
est le dernier vestige de quatre statues fort anciennes disparues depuis
la revolution de 93. Cette decoration monumentale dans un lieu si peu
frequente atteste un respect traditionnel; et les paysans des environs
ont une telle opinion de l'orme Rateau, qu'ils pretendent qu'on ne peut
l'abattre, parce qu'il est sur la carte de Cassini. Mais ce chemin
communal, abandonne aujourd'hui aux pietons, et que traverse a de rares
intervalles le cheval d'un meunier ou d'un gendarme, etait jadis une des
grandes voies de communication de la France centrale. On l'appelle
encore aujourd'hui le chemin des Anglais. C'etait la route militaire, le
passage des armees que franchit l'invasion, et que Duguesclin leur fit
repasser l'epee dans le dos, apres avoir delivre Sainte-Severe, la
derniere forteresse de leur occupation.
Ce detail n'est consigne dans aucune histoire, mais la tradition est la
qui en fait foi; et maintenant, voici la legende de l'orme Rateau, qui
est jolie, malgre la nature des animaux qui y jouent leur role.
Un jeune garcon gardait un troupeau de porcs autour de l'orme Rateau.
Il regardait du cote de la Chatre, lorsqu'il vit accourir une grande
bande armee qui devastait les champs, brulait les chaumieres, massacrait
les paysans et enlevait les femmes. C'etaient les Anglais, qui
descendaient de la Marche sur le Berry et qui s'en allaient ravager
Saint-Chartier. Le porcher eloigna son troupeau, se tint a distance et
vit passer l'ennemi comme un ouragan. Quand il revint sous l'orme avec
son troupeau, la peur qu'il avait ressentie fit place a une grande
colere contre les Anglais et contre lui-meme.
--Quoi! pensa-t-il, nous nous laissons abimer ainsi sans nous
defendre?... Nous sommes trop laches! Il y faut aller!
Et, s'approchant de la statue de saint Antoine, qui etait une des quatre
autour de l'orme:
--Bon saint Antoine, lui dit-il, il faut que j'aille contre ces Anglais,
et je n'ai pas le temps de rentrer mes betes. Pendant ce temps-la, ces
mechants-la nous feraient trop de mal. Prends mon baton, bon saint, et
veille sur mes porcs pendant trois jours et trois nuits; je te les
donne en garde.
La-dessus, le jeune gars mit sa binette de porcher (qui est un court
baton avec un triangle de fer au bout) dans les mains de la statue, et,
jetant la ses sabots, _s'en couru
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