rte de ma place. Je
pense plutot a la detresse morale dans laquelle je patauge depuis cette
epoque et d'ou je ne sortirai peut-etre jamais plus.
J'ai, ce jour-la, mesure, visite des profondeurs dont mon esprit ne peut
plus s'evader. Il s'est fait une dechirure dans les nuages et, pendant
une minute, j'ai tres nettement regarde le fond du fond.
Inutile de raisonner sur des choses deraisonnables. J'aime encore mieux
vous raconter les evenements qui sont arrives par la suite. Remarquez en
passant qu'appeler evenements des brimborions sans importance, comme
tout ce qui est de moi, ca fait pitie quand on y pense.
Mon algarade avec les gens de M. Sureau avait eu lieu vers dix heures du
matin. Il n'etait pas dix heures et demie quand je me trouvai dans la
rue. Je n'avais plus qu'une chose a faire: retourner a la maison.
J'habite avec ma mere. Je m'apercois que vous ne savez rien. Il faut que
je vous explique tout, que je vous raconte tout. C'est insupportable,
quand on parle de soi, on n'a jamais fini.
Ma mere est veuve, mon pere est mort alors que j'etais encore dans la
premiere enfance, si bien que je ne connais presque rien de lui.
Entendez que j'ai tres peu de souvenirs Absolument personnels. A part
cela, ma mere m'a raconte quatre ou cinq cents fois certaines histoires
de mon pere, en sorte que ces histoires font partie integrante de ma
Memoire et que je dois accomplir un reel effort pour distinguer ces
souvenirs-la de mes souvenirs a moi. Mais nous parlerons de mon pere une
autre fois.
Nous avons toujours habite notre logement de la rue du Pot-de-Fer. Trois
pieces et une cuisine, au quatrieme etage. J'ai ce logement en horreur
et, pourtant, je ne suis bien que la.
La maison, l'endroit ou l'on vit d'ordinaire finit par devenir comme une
image de l'etre: on ne connait que ca, et on en voit toute la tristesse,
toute l'intolerable tristesse.
Ma mere a une tres petite rente. Avec ce revenu et le peu que je gagne
elle fait tres bien marcher la maison. Ma mere est une femme admirable,
la seule personne au monde qui me donne parfois envie de me jeter a
genoux.
Je vous dis cela en passant, mais ca doit etre bien bon de se jeter a
genoux devant quelqu'un, de le venerer, de lui ouvrir son coeur, de s'en
remettre a lui de toutes choses. Quand je pense a l'humanite, quand je
pense a tous ces bougres d'hommes, ce que je leur reproche le plus, ce
n'est pas le mal qu'ils font; c'est de ne pas s'arranger pour qu'une
f
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