a le don de m'exasperer. Je ne veux pas
entendre parler argent.
"Si, comme la chose est vraisemblable, elle me gourmande, je suis resolu
a ne rien lui cacher de ce que je pense. Je lui dirai mon avis sur cette
sale situation que je viens de perdre. Est-ce ma faute, a moi, si je
suis entre dans les bureaux? Moi, je voulais faire de la chimie. Je n'ai
aucune aptitude pour ce hideux metier de rond-de-cuir. Pourquoi maman
m'a-t-elle pousse a prendre une place chez Moutier, d'abord, chez Socque
et Sureau ensuite? J'etais fait pour la chimie. Tout ce qui arrive
devait fatalement arriver. Pourquoi ne m'a-t-elle pas laisse suivre ma
voie? Nous sommes pauvres, c'est entendu; mais ce n'est pas une raison
pour avoir fausse ma carriere, perdu ma vie, compromis, gache mon
bonheur. Non! Non! Je n'accepte aucun reproche au sujet de cette
situation que je viens de perdre. Si on ne m'avait pas force a la
prendre, je ne l'aurais pas perdue."
En arpentant les allees tortueuses du Labyrinthe, je me sentais gonfle,
tumefie par un monde de pensees venimeuses. Mes pas revenaient toujours
dans le meme cercle stupide et mes sentiments tournoyaient sur place,
comme un vol de sansonnets qui ne sait ou se poser. J'arrivais
graduellement a cette conclusion que ma mere etait la seule personne
responsable de mon infortune. C'etait elle qui m'avait laisse passer
l'age des bourses scolaires sans m'aiguiller dans la bonne direction.
C'etait elle qui m'avait pousse a rechercher des fonctions incompatibles
avec mon caractere. C'etait elle qui allait maintenant m'accabler de
reproches, me parler de nos difficultes d'argent, me faire mesurer ma
sottise et mon insuffisance. Non! Non! Je ne pouvais tolerer cela.
Il faisait une chaleur orageuse, deprimante. A force de tourner, je
suais a larges gouttes et marchais comme un homme pris de boisson. En
fait, j'etais ivre, ivre d'amertume et de colere. Pourtant, l'essentiel
etait acquis: j'avais prepare toutes mes reponses, j'etais charge de
rancune comme un mortier de coton-poudre. J'etais pare. J'aurais le
dernier mot.
Vous pouvez, monsieur, me considerer avec degout. J'y consens. Mais je
dois dire les choses comme elles sont. Maintenant, imaginez l'espece de
forcene que j'etais au moment ou j'entendis sonner midi et demi et ou je
me dirigeai vers la rue du Pot-de-Fer, de l'air presse d'un homme qui a
bien gagne sa nourriture.
III
Le couloir qui perfore notre maison, au ras du sol, est sombre
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