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que je me trouve face a face non plus avec des imaginations mais avec des etres vivants, mes semblables, je suis si vite a bout de courage! Je me sens l'ame contractee, la chair a vif. Je n'aspire qu'a retrouver ma solitude pour aimer encore les hommes comme je les aime quand ils ne sont pas la, quand ils ne sont pas sous mes yeux. Vous le voyez, je fais mon possible pour vous expliquer des choses inexplicables, pour bien vous montrer, surtout, que si j'ai l'air d'un misanthrope, c'est, precisement, parce que j'aime trop l'humanite. Peut-etre me direz-vous qu'avec une nature comme la mienne il faut plutot chercher son bonheur dans les choses. J'entends bien; mais il est necessaire de faire des avances aux choses pour qu'elles vous procurent de la joie, et je suis, le plus souvent, une ame trop ingrate, trop aride pour faire des avances. Je m'en allais donc par les rues en ruminant ma vie et en constatant, presque a toute minute, que le monde m'echappait, que j'etais abandonne, un vrai pauvre, un miserable. Un jour, dans la rue d'Ulm, une rue bien paisible, j'apercus un apprenti qui tirait une voiture a bras. La voiture etait lourdement chargee. L'apprenti avait l'air d'une grenouille remorquant un paquebot. Penche en avant, il pesait de tout son maigre corps sur la bricole qui lui sciait les epaules. D'une main, il serrait un des brancards et, de l'autre... Ah! devinez! De l'autre, il tenait un livre et, tout en tirant sa voiture, il lisait, avec des yeux qui lui sortaient de la tete. Je ne sais ce que lisait ce garcon; mais, toute la soiree, je ressentis une sombre impression d'envie et de honte. L'existence du petit bonhomme lisant dans les brancards, cette existence me semblait pleine, riche, desirable, au prix de la mienne si creuse et si mediocre. Le plus souvent mes longues promenades sur le trottoir me valaient toutes sortes d'histoires desagreables. Une fois de plus j'appelle "histoires" ce qui n'en est pas, c'est-a-dire des choses qui se passent uniquement a l'interieur de la bete. Je marchais d'un pas bien regulier. J'etais tout entier avec de vieilles pensees, des souvenirs, d'informes reves. Je ne regardais ni les gens qui allaient dans ma direction, ni ceux qui allaient dans la direction opposee et, brusquement, une femme qui marchait devant moi, une femme que je n'avais meme pas vue, se retournait d'un air offense et changeait brusquement de trottoir. Voila qui est vexant, je vous assure,
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