ois de temps en temps on ait le besoin imperieux de se prosterner
devant l'un d'eux, de lui embrasser les pieds, de lui jurer fidelite, de
le servir comme ferait un esclave, ou un chien. Ah bien, oui! Il n'y a
rien a tirer de ces brutes-la! On leur offrirait son ame toute brulante,
arrachee toute vive, qu'ils prendraient l'air soupconneux d'un tripier
qui regarde une piece demonetisee.
Je vous le repete, ma mere est une femme admirable. Si bonne, si
courageuse, si peu semblable a moi! Car moi, je suis sans doute
meprisable, mais pour des raisons que je reste seul a connaitre, je vous
prie de le croire; pour des raisons que ne sauraient imaginer ni Oudin,
ni M. Jacob, ni meme Lanoue. Ceux-la, plutot que de me mepriser, ils
feraient mieux de se regarder en face avec sang-froid. D'ailleurs, ils
ne me meprisent peut-etre pas, au fond.
A part cela, ma mere a un petit defaut. Elle me traite toujours comme si
j'etais demeure le bambin qu'elle a dorlote et gourmande jadis. C'est
vexant pour un homme qui approche de la trentaine. A dire juste, ma mere
est de caractere un peu bougon. Un tres petit defaut, je le sais, et
qui, toutefois, m'est extremement penible, surtout dans certaines
occasions.
C'est a ce travers de ma mere que je pensais en sortant de la maison
Socque et Sureau.
Le grand air m'avait fait du bien. Je commencais a me ressaisir, a
rassembler mes idees qui tiraient dans tous les sens, comme un attelage
decourage par une longue cote.
Je suivais le quai d'Austerlitz. J'essayais de comprendre ce qui venait
de m'arriver et je repetais: "On m'a flanque a la porte.... On m'a
flanque a la porte... a la porte du bureau". Il m'est difficile de
soustraire mes pensees au rythme de la marche, et, comme mon pas etait
assez regulier, je scandais ces mechantes phrases sur un air de polka.
Soudain, je m'arretai. Je venais d'entrevoir qu'il m'etait necessaire
d'annoncer cette nouvelle a ma mere et que cette nouvelle etait tres
facheuse, qu'elle comportait maintes consequences redoutables.
Je m'arretai donc tout a fait pour m'accouder au parapet qui domine la
Seine.
A l'ombre des arbres, la pierre etait presque froide. Il fallait cette
fraicheur et cette immobilite pour me faire eprouver mieux ma fievre et
mon agitation. Une minute de pause suffit a me bien montrer que je
n'etais pas du tout dans mon etat normal, ce fameux etat dans lequel je
ne suis jamais.
Ce petit arret me fut quand meme salutaire. Il faut si
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