es indecisions.
Une seule route me semblait possible: celle que cinq ou six ans de
pratique m'avaient fixee, celle qui etait jalonnee de mille reperes
familiers. Mais, dans les promenades dont je vous parle, il n'en etait
plus de meme: le but de mes pas etait, le plus souvent, tres indecis et
le temps ne me pressait point. Alors, je m'arretais a l'angle d'une
maison, devant quelque morne boutique. J'etais tire a gauche, pousse a
droite, partage, flottant. Je tournoyais sur moi-meme comme une barque
que le courant hale dans un sens et que le vent sollicite dans le sens
oppose. Je fermais les yeux et foncais au petit bonheur.
Eh bien, a ce train-la, il m'arrivait quand meme d'arriver, si j'ose
dire. En d'autres termes, je finissais quelquefois par me trouver dans
un endroit qui n'etait pas n'importe lequel. C'etait, je suppose, la
fameuse etude d'avoue ou il y avait a prendre une place
d'expeditionnaire.
J'entrais, je faisais antichambre, j'etais amene en presence d'un
employe superieur. Toujours il y avait quelque chose qui ne marchait
pas: ou bien la place etait prise depuis la veille, ou bien la place ne
convenait qu'a un tout jeune homme, ou bien on exigeait quelque
connaissance speciale dont je me trouvais depourvu.
Parfois le "principal clerc" me demandait les references fournies par
mes derniers patrons. Je promettais de les apporter le lendemain et je
degringolais en hate l'escalier. Ma journee etait finie. J'avais fait ma
demarche; elle prouvait, une fois de plus, qu'il m'etait impossible de
trouver une place. Cette certitude etait, precisement, la seule chose
que je cherchais.
IX
Apres le dejeuner, j'allais dans ma petite chambre. J'etais tout a fait
sur de ce qui m'y attendait, mais j'affectais, vis-a-vis de moi-meme, de
n'en rien savoir.
Ah! monsieur, si je trompais le plus cruel de mes adversaires avec la
moitie de la perfidie que j'apporte a me duper moi-meme, je serais, en
verite, une canaille.
J'allumais un megot, je deployais le journal, j'ecrivais quelque
insignifiante lettre. J'ecoutais les bruits que faisait ma mere en
desservant la table ou en lavant la vaisselle et je disais a haute voix:
--J'ai bonne envie d'aller, tantot, voir cette usine de Montrouge, tu
sais, maman?
Ou bien:
--Je n'ai pas encore recu de reponse de la maison Malindoire et
Simonnet. Je cherche dans le plan de Paris...
Voila le genre de betises que je disais pour me donner le change sur les
raisons
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