ement. Il l'a donne d'un air inquiet et hesitant. Il l'a donne pour
entrer dans la baraque ou l'on allait lui parler de son avenir.
Voila! Voila les choses que je voyais dans mes promenades.
X
Je m'attarde a vous raconter des balivernes et je perds le fil de mon
affaire.
La periode dont je viens de vous parler dura jusque vers le mois
d'octobre. Je ne comptais pas les jours; je sentais le temps se derober
sous moi et je n'en demandais pas davantage. Vivre vraiment? Je
remettais la vie a plus tard, a cette date indeterminee ou arriveront
les evenements qui doivent arriver pour moi. Comprenez-vous?
Je m'apercus quand meme du changement de la saison; la fraicheur vint et
maman me dit un jour:
--Louis, il va falloir mettre tes vetements d'hiver.
J'avais, pour l'ete, un vieux complet noisette que j'aimais beaucoup.
Les soins de ma mere lui conservaient une sorte de decence; mais il
etait si lime, si poli, qu'il paraissait humilie et malheureux. Cela me
plaisait: c'etait bien le vetement qui s'ajustait a mon ame. Je
retrouvais, chaque jour, tous les plis de cet habit, toutes ses
deformations et ses reprises comme autant d'habitudes bien a moi, comme
des manifestations de ma pauvrete Interieure. Grace a ce pantalon
cagneux et couronne, grace a cette veste terne et bossue, je me sentais
assure de passer inapercu, ce qui est un si grand bien dans l'existence.
Mere me fit donc endosser mon vetement d'hiver, cette jaquette assez
chaude, presque noire, que vous me voyez aujourd'hui, qui etait a peu
pres neuve alors et que j'avais en horreur. Je n'ai d'ailleurs pas cesse
de l'execrer. Regardez ces pans ridicules qui me font ressembler a un
scarabee. Est-il possible que, pour gagner sa vie, un homme soit oblige
non seulement d'abandonner son temps, mais encore de sacrifier tous ses
gouts, de livrer jusqu'a l'aspect exterieur de sa personne?
Je mis donc cette jaquette pour mes courses et mes promenades. En
general, je ne portais sur moi que des sommes derisoires; dix sous,
quinze sous. Depuis la perte de ma place, je n'osais pas demander
d'argent a ma mere. La pauvre femme ne me parlait jamais de ces choses.
Parfois j'allais, pour elle, faire quelque achat et je ne lui rendais
pas la monnaie. C'etait une facon assez discrete, assez detachee de me
procurer les quelques sous necessaires a mes menus besoins. Je ne
depensais rien, croyez-le bien; mais, de temps en temps, malgre tout,
l'omnibus, le metro, un timbre
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