achotement d'un eternel bec Auer au tuyau gorge
d'eau. La lumiere meurt et renait cent fois par minute, et, pendant ses
agonies, on voit un oeil-de-boeuf ouvert sur le crepuscule de la cour
interieure.
Notre concierge est en train de finir a l'endroit meme ou on l'a plantee
jadis. Elle meurt par la tete, comme les peupliers. Elle est a peu pres
folle, et presque completement aveuglee par une double cataracte qui lui
fait des pupilles laiteuses. A part cela, elle nous reconnait tous, ses
locataires, au pas, au souffle, et a beaucoup d'autres petits signes qui
la renseignent sans qu'elle les puisse analyser. Quelque chose de
comparable a la sensibilite des mollusques sedentaires.
La concierge cogna donc a la porte et me dit:
--Louis, il y a une lettre pour toi et un catalogue pour Marguerite. Tu
voudras bien le lui donner en passant, mon garcon.
Marguerite est notre voisine, une couturiere. Je pris lettre et
catalogue et je continuai l'ascension. Je montais vite, pour ne pas
laisser a mes resolutions le temps de s'eparpiller. Le tournoiement de
l'escalier me procurait un leger vertige bien connu. Malgre la tension
de mon esprit, je ne manquai point a l'habitude, vieille comme ma vie,
d'epeler, en passant au second etage, la plaque de Lepargneux:
specialiste d'espadrilles et semelles de cordes. C'est un industriel en
taudis, un mange-des-briques. Mais ne perdons pas de temps avec
Lepargneux.
Arrive sur le carre du quatrieme, je confiai le catalogue au paillasson
de Marguerite et tout de suite, je fis, avec deux doigts, mon petit
bruit contre notre porte. Il y a une sonnette, j'ai des clefs; pourtant
je ne me sers jamais de tout cela. J'ai une facon a moi de frapper. Ca
simplifie la vie.
Ma mere vint m'ouvrir et je fis d'abord, ce jour-la, comme a
l'ordinaire, car les heures de la vie quotidienne forment une machine
toute-puissante dont les pieces successives nous saisissent, nous
poussent et nous manipulent au mepris de nos decisions. Cela veut dire
que j'embrassai ma mere, que je posai ma canne dans la grande potiche en
terre, que j'accrochai mon feutre au porte-manteau et que je passai dans
la cuisine pour me laver les mains. J'obeissais a de vieilles forces
tyranniques, mais je n'avais rien perdu de ma colere qui se tortillait a
l'interieur de moi comme un chat dans un sac.
Ma mere me suivit dans la cuisine. Elle souleva doucement, avec le bout
de sa mouvette, le couvercle de la cocotte, et elle me dit en
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