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Or, cette espece de misere qui, sous mon vieux vetement, m'etait assez
indifferente, me devint odieuse quand il me fallut trimbaler une
jaquette de cheviotte, une jaquette d'employe aise ou de bourgeois. Cet
habit, en desaccord avec l'etat de mon gousset, me devint comme un
mensonge intolerable. C'est certainement a cette jaquette que je dus
toutes sortes d'idees absurdes. A cause d'elle aussi je me mis a
chercher une place avec une activite plus reelle.
Cette activite devint bientot fievreuse sans cesser d'etre inefficace.
Les places! c'est comme les idees, on les trouve quand on ne les cherche
pas. Les gens qui possedent une situation avantageuse et sure disent
volontiers: "Un garcon vraiment courageux, vraiment resolu finit
toujours..." Ah! monsieur, ce que la chance et le succes peuvent rendre
les hommes betes et injustes!
A compter du moment ou je pensai avec une reelle angoisse: "Allons!
Allons! il faut que je trouve une place!" j'eus l'impression obscure
mais tenace que je ne trouverais absolument plus rien. Et, en fait, je
ne trouvai plus rien; j'entends plus rien qu'il me fut possible
d'accepter avec dignite.
Un mur, un mur! Avoir le sentiment que l'on est devant un mur tres haut,
tres lisse, tres epais, et que ce mur-la, c'est l'avenir, et qu'on ne
peut ni l'escalader, ni le renverser, ni le percer. Ceux qui n'ont
eprouve que du bonheur dans leur vie ne peuvent pas comprendre un tel
sentiment.
Il vous est sans doute arrive d'attendre quelqu'un, le soir, au coin
d'une rue, sous un bec de gaz. Il vous est arrive d'attendre pendant une
heure, puis pendant deux heures, de savoir que la personne attendue ne
viendrait surement plus et de continuer a esperer quand meme. Il vous
est arrive de connaitre de telles angoisses et, aussi, celle que l'on
eprouve a s'en aller en se retournant tous les dix metres, bien qu'il
soit evident que personne ne viendra, a se retourner et a revenir sur
ses pas, malgre la certitude que tout cela est parfaitement inutile.
Ma vie fut en tout point comparable a cette vaine attente sous le bec de
gaz, dans la pluie, au coin d'une rue. Je savais que tout espoir etait
inutile et je faisais plusieurs fois par jour les gestes et les
demarches d'un homme qui a de l'espoir.
Ce qu'il y avait de remarquable pour moi, pendant toutes mes courses,
pendant tous ces moments de solitude ambulante, c'etait l'activite
excessive avec laquelle je pensais.
Il est difficile de dire exacte
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