au sud, a travers une region hirsute,
congestionnee, tumultueuse.
Amarre a la montagne Sainte-Genevieve, le pays Mouffetard forme un recif
escarpe, refractaire, contre lequel viennent se briser les grandes
vagues du Paris nouveau.
J'aime la rue Mouffetard. Elle ressemble a mille choses etonnantes et
diverses: elle ressemble a une fourmiliere dans laquelle on a mis le
pied: elle ressemble a ces torrents dont le grondement procure l'oubli.
Elle est incrustee dans la ville comme un parasite plantureux. Elle ne
meprise pas le reste du globe: elle l'ignore. Elle est copieuse et
Vautree, comme une truie.
Le pays Mouffetard a ses coutumes propres et des lois qui n'ont plus ni
sens ni vigueur au dela du fleuve Monge. L'etranger qui, venu du centre,
se fourvoie dans la rue Blainville ou place Contrescarpe est, a de
certaines heures, aspire comme un fetu par le maelstroem Mouffetardien.
Et, tout de suite, la cataracte l'entraine.
La rue Mouffetard semble devouee a une gloutonnerie farouche. Elle
transporte sur des dos, sur des tetes, au bout d'une multitude de bras,
maintes choses nourrissantes aux parfums puissants. Tout le monde vend,
tout le monde achete. D'infimes trafiquants promenent leur fonds de
commerce dans le creux de leur main: trois tetes d'ail, ou une salade,
ou un pinceau de thym. Quand ils ont troque cette marchandise contre un
gros sol, ils disparaissent, leur journee est finie.
Sur les rives du torrent s'accumulent des montagnes de viandes crues,
d'herbes, de volailles blanches, de courges obeses. Le flot ronge ces
richesses et les emporte au long De la journee. Elles renaissent avec
l'aurore.
Les maisons sont peintes de couleurs brutales qui semblent les seules
justes, les seules possibles. Chaque porte abrite une marchande de
friture, et l'arome des graisses surchauffees monte entre les murailles
comme l'encens reclame par une divinite carnassiere.
Je vous raconte tout cela parce qu'au sortir de chez moi la rue
Mouffetard fut la premiere etape de mon bonheur.
Il etait pres de cinq heures apres midi. La rue Mouffetard s'apaisait:
c'est le matin qu'elle a sa grande attaque.
Passer rue Mouffetard un jour ou l'on est heureux, un jour ou l'on est
comble, c'est une riche affaire. Je me laissai glisser jusqu'au lac des
Gobelins, comme un voyageur en Pirogue au fil d'une riviere tropicale.
Tout m'etait revelation. Je parvenais de minute en minute a la
plenitude.
Il y avait, dans les charcuterie
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