jour-la, le pont d'Austerlitz ne me fit aucun bien.
Mes soucis etaient trop cuisants: le pont d'Austerlitz ne fut pas de
force.
Je me dirigeai vers le jardin des Plantes et je pensai: "Surement, ca
ira mieux dans l'allee des platanes"; car, cette grande allee qui monte
vers le Museum, c'est un endroit ou je suis presque toujours heureux.
L'allee des platanes fut un echec complet. En arrivant au niveau des
serres, j'etais un peu plus mecontent, un peu plus trouble qu'en passant
la grille du jardin. L'allee m'avait laisse filer avec une indifference
evidente, sans plus s'occuper de moi que d'un etranger, sans me faire le
moindre signe d'amitie, a moi qui, depuis cinq ans, la caressais dans
toute sa longueur quatre fois par jour en ete et trois fois par jour en
hiver.
J'en ressentis une penible impression d'abandon et d'hostilite chez les
choses. Mauvais signe, monsieur, quand les choses nous trahissent dans
les circonstances graves.
Bien pis! la vue du jardin botanique me procura un trouble imprevu: le
jardin botanique etait ferme. Je compris donc que j'etais en avance et
que, si je poursuivais ma route, mon arrivee a la maison, en pleine
matinee, aurait quelque chose d'insolite qui precipiterait la
catastrophe, c'est-a-dire l'explication.
Je revins vers la fosse aux ours. Je ne le fis pas sans une sourde
colere: toutes mes habitudes renversees! Rien d'etonnant que le monde
familier ne me fut pas secourable, puisque je bouleversais tout, puisque
je denoncais le pacte, puisque j'arrivais alors que l'on ne m'attendait
pas, comme un mari soupconneux qui revient de voyage a l'improviste.
J'avais plus d'une heure a gaspiller avant de pouvoir regagner la rue du
Pot-de-Fer. Je passai ce temps a louvoyer autour du jardin botanique,
comme un navire en vue du port et qui attend le flot pour entrer.
J'etais bien decide a ne pas souffler mot de mon histoire; mais la
certitude que ma mere allait me demander des eclaircissements ne
laissait pas de m'exasperer.
Je pensais: "Si elle m'adresse le moindre reproche, je ne lui repondrai
rien. Je resterai glace, digne, comme un homme qui a souffert une grande
injustice. Car, somme toute, je suis la victime dans cette affaire. Je
viens de souffrir une grande injustice, on me doit excuses et
consolations.
"Surement, elle va me gronder, elle me traite toujours comme un enfant.
Surement, elle va se plaindre, me questionner, me parler argent. Oh! ca,
non! Voila une matiere qui
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