out cela est important et grave. Ma mere fit
toutefois en sorte de me le faire oublier. O le beau, le cher instant!
Plus je m'humiliais devant cette sainte figure, plus je me sentais
ennobli, grandi, rachete. Voila une chose singuliere et que je ne me
charge pas de vous eclaircir.
Je revois encore une scene de cette journee memorable: j'etais assis
dans le fauteuil Voltaire, je parlais avec feu, avec gaite, et ma mere,
accroupie devant moi, me dechaussait tout doucement et me passait mes
savates, car elle sait bien que je n'aime pas rester une couple d'heures
a la maison sans mettre des pantoufles et de vieux habits.
Nous poursuivions notre entretien en riant aux eclats. Ma vie, mon
avenir ne m'ont jamais paru plus limpides que ce jour-la. Jamais
l'humanite ne m'inspira sympathie plus franche et plus depourvue de
reserves.
Tout ce que je touchais m'etait accueillant et fraternel. Je passai dans
ma chambre et j'eus l'impression que les meubles me saluaient d'un
hourra silencieux.
Ma chambre est petite et encombree. C'est mon royaume, c'est ma patrie.
Je tiens, d'ancetres inconnus, un venerable canape qui occupe toute une
muraille entre la commode et le lit. Pour bien suivre mon recit, je ne
veux pas prendre en consideration les quelques heures--que dis-je?--les
innombrables heures infernales que j'ai consumees sur Ce canape. Qu'il
vous suffise pour l'instant de savoir que ce canape est, a mes yeux, un
lieu sacre, car c'est etendu sur lui que, parfois, j'ai possede le monde
en reve.
Ce jour-la, sous sa housse decoloree, mon canape me parut radieux. Il
m'evoqua toutes les lectures que nous avions faites ensemble, car je lis
toujours couche, pour oublier le Plus possible mon corps, pour etre
presque mort a ma propre vie et tout entier avec mes heros.
Je me mis a fureter dans la piece afin de trouver un vieux bout de
cigarette: un megot bien froid, voila ce que j'aime. Je laisse des
cigarettes inachevees, expres pour les retrouver le lendemain.
Je n'eus pas de peine a me procurer ce qu'il me fallait et je me mis a
fumer, etendu sur le dos.
Je fumais chez moi, dans le fond de mon canape, l'apres-midi, un jour de
semaine. En verite, c'etait extraordinaire, admirable. Le tabac avait un
gout d'autant plus miraculeux que l'on ne peut jamais fumer au bureau
dans la journee. Je ne parle pas du dimanche, ce jour veneneux! Le tabac
avait donc un gout de liberte, et la vie avait le gout meme du tabac.
Du canape, j'
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