pendant que ma mere me regardait doucement,
attentivement, de ses yeux accoutumes a la penombre. Je comprenais que
je devais etre defigure par le sommeil; je me sentais les traits epais,
bouffis, les yeux poches, les cheveux secs et emmeles; mais tout m'etait
egal: l'essentiel etait de ne pas rompre le charme engourdissant qui me
permettait de passer d'une nuit a l'autre sans secousse, sans heurt,
sans reveil effectif.
Le petit dejeuner fini, je retournais dans ma chambre pour y faire ma
toilette. Comme j'avais devant moi un temps illimite, je procedais a mes
ablutions avec beaucoup d'irregularite et de negligence. Il m'arrivait
ainsi, certains jours, de parvenir au soir ayant remis d'heure en heure
le soin de me raser. Je finis par y renoncer tout a fait, et c'est
depuis que je porte cette maniere de barbe que vous me voyez et qui me
degoute profondement.
Ah! monsieur, je me connais assez bien pour juger sans mansuetude
l'homme, cet etre repugnant voue a la vermine et a l'esclavage.
Excusez-moi de vous dire ca tout net, mais comment en parler sans
colere? Pendant treize ans j'avais, chaque matin, dispose de vingt
minutes environ pour veiller a la proprete de mon corps, et je vous
assure que ces vingt minutes etaient bien occupees. Je suivais un ordre,
toujours le meme: les mains, le visage, les pieds, etc... La vie etait
facile, je n'avais qu'a obeir a mes habitudes.
A partir du moment ou je disposai, pour les memes soins, de presque
toute ma journee, je ne parvins plus a faire correctement quoi que ce
fut de mon programme. Je remettais sans cesse a plus tard une chose ou
une autre, en me reprochant, au fond, amerement tous ces delais. Pendant
cette periode remarquable, il m'arriva de rester quinze jours de suite
sans me laver les pieds, et cela parce que j'avais dix fois le temps de
le faire. Et n'allez pas croire que c'etait un oubli. Non pas! Je
regardais reveusement mes pieds nus et pensais qu'ils pouvaient encore
aller jusqu'au lendemain. De lendemain en lendemain, ils finissaient par
etre parfaitement sales.
Au milieu de ma toilette, je me prenais a fumailler, a ouvrir un livre.
Je m'enfoncais dans un angle du canape et je revassais indefiniment. Du
lit defait s'echappaient de grosses bouffees de sommeil. Mes reves de la
nuit, embusques sous les meubles, derriere les cadres, dans les fleurs
du papier mural, montraient un oeil et sortaient doucement, comme des
demons. Ils reprenaient possession de la cham
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